Homélie de Mgr Jean-Luc Hudsyn
Messe de la nuit de Noël 2021 – Monastère de Rixensart
La nuit est tombée – l’hiver a commencé avec ses premiers gels – nous connaissons pour la 2ème fois un Noël plutôt morose… Le prophète Isaïe ne croyait pas si bien dire en parlant de ce peuple qui marchait dans les ténèbres… Et peut-être même qu’en nous il y a de sérieuses zones d’ombre…
Les bergers de la crèche eux aussi étaient dans la nuit. Mais si nous sommes venus pour fêter Noël ensemble, c’est parce qu’à Bethléem ces bergers perdus dans le noir, ont vu malgré tout se lever une grande lumière. Une voix les a appelés. Un chemin s’est ouvert devant eux : comme la promesse d’une bienheureuse espérance, vient de nous dire S. Paul.
Ils se sont levés – comme nous ce soir qui avons quitté nos maisons ou nos chambres. En toute confiance, ils sont allés à la rencontre de cette bonne nouvelle, de cette annonce tant espérée d’un Sauveur. Et qu’ont-ils rencontré ? Rien qui ne ressemble au palais de l’empereur, ou aux villas luxuriantes de son gouverneur : une étable, avec, dans une mangeoire, un enfant qui leur tendait les bras ! Et Dieu se cachait-là : un Dieu qui, dans la fragilité de ce tout-petit, nous demande de prendre soin de lui. A la crèche, chacun le fait à sa manière : Marie le borde avec amour ; Joseph veille à ce qu’un feu le réchauffe ; les bergers lui donnent le peu qu’ils ont ; les anges se chargent en douceur de la sono…
Voilà pourquoi Noël continue d’émouvoir, et bien au-delà de nos enclos… Il se dégage de la crèche le sentiment que, même dans les fragilités qui sont les nôtres, dans la vulnérabilité qui peut toucher nos corps, notre santé, nos projets, nos relations parfois devenus plus tendues, mêmes si nous avançons à l’aveugle, sans trop savoir où tout ça nous mène, nous voyons dans la crèche une espérance, une bonne nouvelle : ce qui compte le plus, c’est de garder entre nous cette façon fraternelle de prendre soin les uns des autres ; de manifester que nous comptons les uns pour les autres et que, même fragiles, même avec nos cœurs qui parfois doutent de nous-mêmes, ou des autres ou de Dieu, même alors une lumière est possible si nous consentons à nous ouvrir un tant soit peu à cette douceur, à cette paix, à ces gestes d’entraide mutuelle qui se dégagent de la crèche ! La crèche vient toucher le meilleur de notre humanité, et si c’était, en fait, ce qu’il y a de divin en nous !
Cela demande sans doute de nous une conversion du cœur et du regard : accepter d’être des chercheurs de lumière. Ne pas regarder que la nuit, ne pas considérer avec dépit que les ténèbres, si réelles soient-elles. Mais chercher résolument aussi les lueurs de la vie, même ces scintillements qui peuvent paraître peu de choses mais qui n’en sont pas moins le signe que – pour qui sait discerner avec les yeux de la foi et de l’espérance – la réalité n’est pas qu’obscurité et nuit sans fin. Il n’y a pas que des portes qui se sont fermées à Bethléem devant cette famille en attente d’une naissance. Il n’y avait pas que l’indifférence des gens haut-placés à Jérusalem… Il y a eu aussi tous ces gestes qui se sont inventés à la crèche, faits de communion, d’amitié, de partage, de souci de ce qui est faible, d’attention à ce qui commence seulement à naître. Tous ces bergers vaccinés contre le virus du repli, de la violence, du chacun pour soi !
Pour nous qui avons été touchés par le message du Christ et de son Evangile, nous voyons dans le sourire de cet enfant le visage d’un Dieu qui, le premier, vient prendre soin des hommes et des femmes qu’il aime, qui que nous soyons, où que nous en soyons !
Il n’est pas venu nous le dire de loin, ou par messagers interposés. A Noël, il est venu nous le dire lui-même. Et il ne s’est pas contenté de mots. Il est venu habiter parmi nous. Il est venu habiter notre vie, avec ses joies, bien sûr, mais aussi avec ses peines, ses épreuves, ses souffrances.
Il l’a fait pour que nous fassions de même : en continuant ce don de vie et de fraternité divine qui vient de lui. Pour que nous prenions soin les uns des autres. De ceux qui nous sont proches et de ceux qui sont au loin. Avec reconnaissance pour celles et ceux qui prennent soin de nous ; qui permettent le vivre-ensemble en société en prenant soin des plus humbles, des oubliés. Sans oublier ceux qui prennent soin de cette terre pour qu’elle reste comme une immense crèche habitable par tous.
Pour nous chrétiens, Noël nous invite aussi à prendre soin de Dieu au cœur de ce monde qui est parfois comme cette hôtellerie où pour lui il n’y a pas trop de place… Il n’a pas voulu s’imposer au monde. Mais il nous invite ce soir à être les humbles messagers de sa Bonne nouvelle : prenons soin les uns des autres, comme le Christ, l’Emmanuel, est venu prendre soin de nous, avec largesse, en continuant Noël !
+ Jean-Luc Hudsyn