Église catholique en Brabant wallon

Archidiocèse de Malines-Bruxelles (Belgique)

Église catholique en Brabant wallon

 

Le temps du carême, un temps pour… (3/3)

Avec Bertrand Estienne[1], revisitons le temps du carême, ce temps où est entrée l’Église depuis le mercredi des Cendres, soit le 22 février 2023. Nous sommes arrivés à la troisième semaine du carême. Il est temps de revoir les cinq significations de ce temps liturgique fort.

Le temps du Carême, un temps pour une réalité nouvelle

Dans l’Eglise latine, le temps du Carême commence le Mercredi des Cendres et se termine le Jeudi saint. Il dure quarante jours ; c’est d’ailleurs le mot « quarante » qui est à l’origine du mot « carême ». Quarante constitue, de fait, un nombre significatif de ce qui se passera pour le chrétien durant le carême : des quarante jours du déluge aux quarante jours de jeûne de Jésus au désert, en passant par les quarante ans de Moïse et du Peuple Hébreu dans le désert ou les quarante jours de marche du prophète Elie vers le mont Horeb, ce nombre évoque dans la Bible l’idée d’un temps de maturation nécessaire pour faire advenir une réalité ou une situation nouvelle. Le ton est donc donné : le Carême n’est pas d’abord un temps dédié à la privation en tant que telle, mais un temps où, par la prière, le partage et la pénitence, une réalité nouvelle advient en l’homme croyant.

Mais c’est peut-être l’histoire liturgique du Carême qui nous en donnera plus précisément encore sa signification.

Le temps du carême, un temps pour achever la préparation au Baptême

Dès que l’Eglise a cessé d’être persécutée dans l’Empire Romain (IVème siècle), on trouve des références précises au temps du Carême, lequel permettait aux catéchumènes d’achever par un temps fort de quarante jours leur préparation au baptême, à la confirmation et à l’Eucharistie qu’ils devaient recevoir la nuit de Pâques. Ainsi, au début du Carême, l’évêque lui-même accueillait de façon solennelle les futurs baptisés et les appelait à prendre le chemin du baptême. Durant la période de quarante jours, diverses célébrations rythmaient la progression des catéchumènes. L’aspect pénitentiel était fortement souligné car le futur baptisé réalisait qu’en devenant chrétien il renonçait à des nombreuses pratiques ou habitudes du paganisme auxquelles il était plus ou moins attaché. Cet appel par l’évêque (« appel décisif »), ainsi que les étapes de progression pénitentielles appelées « scrutins » figurent aujourd’hui encore dans la préparation des catéchumènes adultes.

Le temps du carême, un temps pour réintégrer les exclus de l’Église

Temps de préparation pour les catéchumènes, le Carême est peu à peu devenu un temps de pénitence destiné à permettre aux baptisés ayant gravement péché de réintégrer la communauté chrétienne. En effet, les personnes ayant commis des fautes telles que l’apostasie, l’homicide ou l’adultère étaient exclues de l’Église. Peu à peu, l’Église a pris conscience de la nécessité de « redonner une chance » à ces pécheurs repentis en les réintégrant dans l’Église moyennant un long temps de probation et de pénitence. Cette période d’exclusion prenait fin lors du Carême. En début de Carême, les pénitents recevaient sur leur tête les cendres en signe d’humilité, puis après un Carême de jeûne et de prière, ils étaient bénis et réintégrés solennellement par l’évêque le Jeudi saint afin de pouvoir à nouveau communier.

Notre Mercredi des Cendres actuel se présente comme la trace de cette période où l’Église vivait le Carême comme un moment de pénitence et de pardon pour les grands pécheurs.

Le temps du carême, un temps de conversion pour tous

Au fil des temps, la conscience des fidèles s’affinant, les chrétiens ont réalisé qu’en définitive, chacun avait à vivre ce temps de pénitence et pas seulement les pécheurs publics. Car c’est quotidiennement que chaque baptisé vit des infidélités plus ou moins grandes qui portent atteinte à sa dignité d’enfant de Dieu. C’est donc pour chacun que le Carême est devenu un temps de remise en question, de pénitence et de retour vers Dieu. Les cendres sont désormais remises à tous ; le jeûne est demandé à tous ; la prière fervente également ; le sacrement du pardon est spécialement offert durant cette période. La liturgie elle-même revêt une forme plus pénitentielle (couleur violet ; absence du chant « Gloire à Dieu » et de l’ « Alléluia » ; très peu ou pas de fleurs ; les instrumentistes ne jouent plus de pièces musicales (la musique est réduite à l’accompagnement des chants de l’assemblée) car il s’agit pour chacun de vivre un temps de désert et de silence (cf. Évangile de Jésus au désert du 1er dimanche du Carême) afin de rouvrir en son cœur la vie baptismale obstruée par notre péché et les lourdeurs du quotidien.

Le temps du carême, un temps pour remettre le mystère pascal au cœur de notre vie

Bien entendu, le Carême a pour finalité de préparer les chrétiens à mieux célébrer les trois jours clé de notre foi que sont le Jeudi saint, le Vendredi saint et la nuit de Pâques (Triduum Pascal). Ce Mystère de la mort et la résurrection du Christ constitue le cœur et l’originalité de notre foi. Comme les disciples sur le mont de la Transfiguration, nous pouvons déjà l’expérimenter et le contempler (cf. 2ème dimanche du Carême). Mais cette réalité fondamentale de notre Credo chrétien semble parfois si étrangère à ce qui constitue le quotidien de nos vies d’hommes qu’il nous faudra bien les quarante jours du Carême pour qu’elle irrigue à nouveau le cœur, les pensées, les décisions et les actions. La puissance du don du Christ sur la croix et la puissance de la résurrection restent cachées aux yeux du plus grand nombre, alors il nous faut peu à peu, durant le Carême, réapprendre à  les goûter, les voir et nous laisser porter par elles : comme la Samaritaine (3è dimanche du Carême de l’année A) buvons l’eau vive du ressuscité ; comme l’aveugle-né (4è dimanche du Carême de l’année A) ouvrons les yeux de la foi au Christ vivant à jamais ; comme Lazare appelé à revivre (5è dimanche du Carême de l’année A) laissons le souffle de la résurrection nous réveiller et conduire nos vies.

En guise de conclusion

Le Carême nous rappelle donc que l’existence chrétienne est une lutte sans relâche, au cours de laquelle sont utilisées les « armes » de la prière, du jeûne et de la pénitence. Lutter contre le mal, contre toute forme d’égoïsme et de haine, et mourir à soi-même pour vivre en Dieu représente l’itinéraire ascétique que tout disciple de Jésus est appelé à parcourir avec humilité et patience, avec générosité et persévérance. L’obéissance docile au Maître divin fait des chrétiens des témoins et des apôtres de paix. Nous pourrions dire que cette attitude intérieure nous aide à mieux mettre en évidence également quelle doit être la réponse chrétienne à la violence qui menace la paix dans le monde. Certainement pas la vengeance, ni la haine, ni même la fuite dans un faux spiritualisme. La réponse de celui qui suit le Christ est plutôt celle qui consiste à parcourir la voie choisie par Celui qui, devant les maux de son temps et de tous les temps, a embrassé la Croix avec décision, en suivant le chemin plus long et efficace de l’amour. Sur ses traces et unis à Lui, nous devons tous nous engager en vue de lutter contre le mal par le bien, contre le mensonge par la vérité, contre la haine par l’amour. »

Le Service de la Liturgie

Bertrand Estienne est prêtre responsable du Service de Pastorale liturgique et sacramentelle du diocèse de Cambrai (59), et licencié de l’Institut supérieur de Liturgie.

[1] Bertrand Estienne, Voix Nouvelles, Chant liturgique et musiques sacrées, 26 janvier 2023.