Église catholique en Brabant wallon

Archidiocèse de Malines-Bruxelles (Belgique)

Église catholique en Brabant wallon

 

Homélie pour un Te Deum de fête nationale

Homélie de Mgr Jean-Luc Hudsyn – Wavre, 21 juillet 2020

Texte biblique : Mt 10, 5a,7-8,42

Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « Sur votre route, proclamez que le royaume des Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. Et celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis : non, il ne perdra pas sa récompense. »


Chers amis,

Comme d’autres, durant ces semaines de pandémie, j’ai moi aussi ressorti de ma bibliothèque ce célèbre roman de Camus intitulé La Peste. C’est vrai que bien des pages ont d’étranges résonances avec ce que nous étions en train de vivre, et qui n’est pas fini.

Camus nous y montre que devant cette menace sourde qui frappe la ville d’Oran, devant ce climat d’abord inquiétant, puis étouffant, chacun est amené à dévoiler la face cachée de ce qu’il est. Il fait ainsi l’inventaire des lâchetés, des dénis, des replis sur soi, des petits profits de certains… Mais je voudrais surtout relever ce matin cette réflexion majeure d’Albert Camus : « Ce qu’on apprend au milieu des fléaux, c’est qu’il y a [finalement] dans l’humanité plus de choses à admirer qu’à mépriser ». Face à la mort, face à l’angoisse, des héros se dressent et agissent. Et ils agissent ensemble. Ils s’unissent, au-delà de leurs convictions sociales, politiques ou religieuses propres à chacun. Je le cite : « Nous travaillons ensemble pour quelque chose qui nous réunit au-delà ». Nous exerçons alors ensemble notre « métier d’hommes et de femmes ».

Ces paroles restent d’une étonnante actualité. Nous ne pouvons oublier, bien sûr, tant de nos compatriotes, gravement atteints dans leur chair et dans leurs affections, tous ceux qui ont dû nous quitter parfois esseulés, les proches confrontés à un deuil douloureux.

Mais nous n’oublions pas non plus toutes ces femmes et tous ces hommes qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes, parfois jusqu’à leur vie, pour réaliser chacun à leur manière cette sorte de feuille de route dont vient de nous parler ce texte de l’Évangile de Matthieu qu’ont choisi pour nous le doyen Liénard et le pasteur Carp.

Jésus s’adresse à des gens en route. Il les envoie en leur donnant quatre consignes : Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons.

Ces expressions bibliques ne nous parlent-elles pas en fait de ce qu’on fait ceux et celles que nous honorons ? Elles veulent aussi nous soutenir ce matin – quelles que soient nos convictions, quelles que soient nos responsabilités – pour faire face à ce « temps d’après », comme on dit aujourd’hui, et qui n’est pas pour demain : il commence maintenant.

Guérir les malades, dit Jésus : en grec, ce verbe peut se traduire aussi par prendre soin. Nous avons tous ressenti durant ces mois combien il était essentiel – pour chacun et pour le vivre ensemble – de prendre soin les uns des autres. Nous savons combien a été vital l’apport de celles et de ceux qui le pratiquaient dans les maisons de repos, les hôpitaux, les services de secours, mais aussi dans les écoles, les services publics, l’associatif, les relations familiales ou informelles… Pas seulement s’occuper de la santé biologique, mais de la santé de tout notre être, affectif, moral, spirituel… Être demain davantage holistique dans notre approche de l’autre, de tout autre. Pas seulement lui permettre de survivre, mais lui donner d’exister, et dans tout l’éventail de son humanité.

C’est cela aussi ressusciter les morts : re-susciter la vie, le gout de vivre par notre bienveillance. Remettre debout, relancer la joie de vivre ensemble en suscitant la reconnaissance de chacun dans sa dignité, tant les jeunes que nos aînés ; tant les femmes que les hommes ; tant les natifs que ceux qui viennent d’ailleurs ; tant ceux qui sont fragilisés que ceux que ceux qui ont du potentiel et des projets.

C’est cela que sous-entend pour l’Évangile « purifiez les lépreux » : c’est réintégrer dans le jeu social ceux qui en étaient tenus à distance, les frappés d’exclusion.

C’est aussi à juste titre qu’il est question d’exorciser les démons… C’est même tout à fait d’actualité : nous délivrer de ces démons intérieurs, exorciser ces pandémies du cœur que sont l’indifférence, les calculs, les divisions, qui ne profitent qu’au chacun pour soi, clanique ou individuel…

Jésus ici s’adresse à ses disciples… Jamais il n’a voulu récupérer personne ! Mais sans être de ses disciples… ne peut-on pas entendre ces appels comme une manière d’exercer justement ce que Camus appelait notre métier d’hommes et de femmes ?

En ces temps de négociations à tous niveaux, pour affronter les défis de demain, et si nous mêlions davantage la diversité de nos talents et de nos intuitions, de nos analyses et de nos projets, de nos ressources aussi !… Nous avons nécessairement nos différences. Mais au service de la nation, ne peuvent-elles pas s’agréger davantage et s’accorder sur un essentiel s’il est vrai que nous voulons une ville, une province, un pays, une Europe, une terre… habitables par tous et pour tous ? Un défi et un métier si humains… qu’ils en sont peut-être même divins !

+ Jean-Luc Hudsyn
Evêque auxiliaire en charge du Brabant wallon