Sœurs et frères,
C’est par cette mémoire de la dernière Cène du Seigneur que commencent ces trois jours saints. C’est donc qu’un essentiel nous est dit ce soir.
Ce soir-là, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, nous dit S. Jean, Jésus réunit ses disciples pour leur confier dans l’intimité de ce repas, ce qui était au cœur de sa vie. Il va le leur dire avec des gestes et quelques paroles.
Ma vie, leur dit Jésus, je l’ai vécue comme la mission que le Père m’a donnée : car je suis sorti de Dieu – et pour faire de ma vie un chemin qui va vers Dieu, j’ai fait de ma vie ce que je vais faire avec ce pain.
Cette vie je l’ai vécue comme un don que m’a fait le Père. C’est pourquoi Jésus commence par rendre grâce pour ce pain.
C’est d’abord pour cela que nous sommes invités à célébrer régulièrement l’eucharistie : pour ne pas oublier de vivre notre vie comme un don reçu pour servir Dieu en servant les autres ; et donc en rendre grâce. Si on vit sa vie comme si on en était le propriétaire, il n’y a pas de raison de rendre grâce à Dieu pour cette vie. Mais si elle est vraiment un don que Dieu nous fait, où il est présent à tout ce que nous vivons, notre vie comme un espace pour rencontrer Dieu et expérimenter sa présence agissante, comment ne pas en rendre grâce ?
Puis Jésus va rompre ce pain et le donne en partage.
Si notre vie est un don de Dieu, comment ne pas vivre notre vie à son image et sa ressemblance : or Dieu est partage. Aussi Jésus n’a cessé de faire de sa vie un partage : partage de son attention pour chacun, partage de sa parole, partage de sa confiance, de son pardon, partage de la foi qui l’habitait, partage de l’Esprit qui animait son être tout entier.
Mais il nous rappelle ce soir que si nous voulons donner notre vie, il faut d’abord ne pas oublier de la recevoir – comme un partage que Dieu nous fait de son amour, de sa bienveillance. Laisser donc notre vie se remplir de cet amour que Dieu nous donne – et qu’il ne cesse de nous donner sans cesse, malgré nos faiblesses, malgré nos contradictions, et notre péché. Se remplir de son amour qui toujours nous pardonne pour être comme ces fontaines remplies d’eau et qui se donnent en débordant… C’est pourquoi rendre grâce à propos de notre vie est si important, car cela nous invite à voir au jour le jour tout ce qui dans notre quotidien est trace de cet amour de Dieu ; combien il nous entoure de sa bonté, de sa patience, de sa miséricorde sans mérite de notre part.
Célébrer l’eucharistie c’est nous rappeler ce qui est essentiel dans le fait d’être chrétien. Un chrétien est celui qui a découvert ce que les premiers disciples ont découvert quand ils ont rencontré Jésus. Ils ont découvert quelqu’un qui les a appelés, qui les a pris avec lui dans son amitié, en leur disant « venez et voyez » : venez à moi, fréquentez-moi comme un ami ; écoutez ma parole qui vous dit que, qui que vous soyez, vous êtes infiniment aimés, et aimables, aux yeux du Seigneur. Ce Père miséricordieux qui, dans le pécheur que nous sommes, voit néanmoins le meilleur qu’il y a au plus profond de nous ; qui ne nous juge pas selon nos offenses mais qui envers et contre tout croit en moi, espère en moi.
Célébrer l’eucharistie c’est venir devant celui qui nous invite à faire comme lui. Qui nous invite à nous tourner vers Dieu, à mettre de l’action de grâce dans notre vie, et à rompre notre vie à sa manière. Qui nous invite à entendre ses mots qu’il dit : à voir dans les autres ceux et celles qu’il appelle « les siens » ! qui nous demande donc de recevoir les autres – ceux que nous aimons comme ceux que nous avons peine à aimer – les recevoir comme les siens – comme ses frères et ses sœurs à lui et qu’il nous confie. Si à l’eucharistie nous venons communier à sa Vie, à sa présence, c’est pour trouver en lui la force d’aimer les siens en essayant de les aimer jusqu’à l’extrême – comme lui nous aime jusqu’à l’extrême : jusqu’à l’extrême de nos difficultés à nous laisser laver par lui, à nous laisser changer par lui.
Nous ne venons pas d’abord à l’eucharistie en pensant à nous : même pas pour devenir d’abord plus performants en vertu, pour être supérieurs en générosité, pour être des parfaits… Nous venons d’abord à l’eucharistie pour Lui ! Pour nous laisser impressionner par l’amour de Dieu ; pour nous laisser bousculer comme Pierre par ce Dieu qui se met à nos pieds, qui se met au service de notre humanité pour que nous devenions grands à sa manière – grands et humbles à la fois.
Nous venons à l’eucharistie pour nous rappeler d’abord de Lui, notre Maître et Seigneur. Et pour que, nous laissant faire par lui, nous soyons alors avec lui : dans le service, la solidarité, le partage. Dans la foi que donner sa vie avec lui cela seul en vaut la peine. Comme Jésus qui face à sa passion et sa croix toute proche, croit que seul l’amour de Dieu et des frères, que seul le service de Dieu et des frères finiront par être plus forts que la mort et que nos guerres.
+ Jean-Luc Hudsyn
Illustration : La dernière Cène – CC0 Pixabay