
J’ai toujours ce drôle de sentiment après cette lecture que les femmes m’attendent au tournant, principalement les partisanes de Marthe… Est-il oui ou non du côté de cette hôtesse à qui visiblement on laisse tout le travail ?
Jésus, en tout cas, ni St Luc n’entre dans le débat sur le fait de savoir si la meilleure part revient aux actifs ou aux contemplatifs… Par rapport à cela, le contexte de ce passage est un vrai jugement de Salomon.
Les versets qui précèdent nous parlent du bon samaritain qui se démène pour le moins « activement » pour cet homme qu’il a trouvé à moitié mort. Et Jésus conclut en disant au docteur de la loi : « Va, et toi aussi, fais de même ».
Quant aux versets qui suivent cette visite à Béthanie, ils nous mettent devant cette demande des disciples : « Apprends-nous à prier… ».
Et donc, Jésus désire de nous les deux : le service actif et la prière…Et c’est bon de nous rappeler de temps en temps que, dans notre mission pastorale, que dans notre amitié avec lui, le Seigneur attend de nous… les deux !
Mais alors, où est la question dans ce texte ? Est-ce un petit règlement de compte entre amis ? entre sœurs ? Je remarque que Marthe est quand-même un peu perfide quand elle dit à Jésus ces deux choses-ci :
D’abord : « Est-ce que cela ne te fait rien que ma sœur m’ai laissé faire seule le service ? »
Entre parenthèses… : si on traduit littéralement du grec, cela donne, « elle m’a laissé faire seule la diaconie »… Ça pourrait nous rejoindre dans certains moments creux de notre service pastoral : par exemple quand on trouve qu’on n’est pas vraiment aidés… comme on le voudrait ! Quand on trouve peut-être que, soit les prêtres, soit les laïcs, soit même les diacres… ne nous aident pas, nous laissent un peu trop seuls… !
Et j’en reviens à Marthe… Peut-être a-t-elle raison mais en tout cas en disant cela publiquement, elle ne peut qu’humilier sa sœur devant Jésus… Et au fond, elle voudrait qu’il en fasse autant ! Alors là, dans cette façon de s’y prendre avec Jésus… là elle ne connaît pas son ami ! Elle n’est pas branchée sur qui il est ! Comme si Jésus n’était pas comme son Père, comme s’il n’avait pas des entrailles de mère pour cette Marie ainsi pointée du doigt. Et lui qui va être bientôt rejeté, incompris, lâché, humilié… comment Marthe peut-elle croire un seul instant que Jésus va lâcher, humilier, ou rabaisser Marie ?
Mais Marthe en rajoute : « Dis-lui donc de m’aider ! » Dis-lui ce qu’elle doit faire ! Oblige-là ! Contrains-là !… Fais la loi ! Impose tes normes… ! Là aussi c’est mal connaître Jésus… Non pas que Jésus n’aie pas des attentes, des exigences qui sont celles de son Père – , et il les dit – il sera même crucifié pour avoir montré de façon très explicite quels sont les choix de Dieu – il les vivra jusqu’au bout, en appelant à le suivre, en proposant ; mais sans imposer, en restant à la porte des cœurs qui lui sont fermés, en espérant face à cette patience et cette bienveillance, que peut-être les cœurs rétifs un jour s’entrouvriront.
Plus je creuse ce texte, plus je crois que l’enjeu du texte est effectivement du côté de Marie : assise aux pieds de Jésus, « elle écoutait sa parole ». Marthe fait le service, fait de la diaconie, à tour de bras, mais elle n’est pas vraiment à l’écoute de celui qu’elle veut pourtant recevoir du mieux qu’elle peut. Elle oublie qu’au bout de ses casseroles, il y a un visage. Si elle était à son écoute, elle ne le prendrait pas pour celui qu’il n’est pas. Ce texte est une invitation : quoique nous fassions, soyons des écoutants : aimer, en écoutant ; éduquer, en écoutant ; servir, en écoutant ; diriger, en écoutant ; décider, en écoutant. Car on peut écouter, sans écouter vraiment ; on peut prier, sans écouter l’Esprit ; on peut prêcher, sans être l’écoutant de sa communauté. Je ne sais plus qui a dit cette chose qui n’est pas un jeu de mots : « avoir une parole qui écoute ! »… Voilà le plus nécessaire ! Voilà la meilleure part qu’il ne faut pas nous laisser enlever par le rythme du monde, ou de la pastorale ou même du vicariat ! Voilà notre Ninive à nous, notre conversion permanente toujours à refaire
Ecouter, cela se demande au Seigneur, cela doit se désirer. Car on n’en a pas toujours envie avec ceux qui nous fatiguent, qui pensent le contraire de nous, qui nous agressent. Ecouter, cela s’apprend et il y a des formations pour cela : tant pour écouter les autres que pour discerner l’Esprit (et merci à ceux qui s’y investissent cette année).
Ecouter, pour nous, cela passe par l’Ecriture ; par l’écoute entre nous avec ceux et celles avec qui nous sommes envoyés ; et par l’écoute de ceux et celles auxquels nous sommes envoyés, par lesquels Dieu nous parle si souvent. Et bien sûr cela par l’écoute de nos proches, des époux, des enfants, de nos parents aînés… Je termine avec un proverbe persan encourageant : « Celui qui parle, sème… Mais celui qui écoute… c’est souvent lui qui récolte ! ».
+ Jean-Luc Hudsyn
Rentrée pastorale – 6 octobre 2015
Mardi de la 27ème semaine B : Jon 3,1-10-Lc 10,38-42