
Et davantage croire en ce Dieu qui nous dit tout bas ce soir : « Je suis Dieu et pourtant j’ai besoin de toi ».
A quoi pouvaient bien songer ces bergers dont l’Evangile nous dit qu’ils étaient dans « la nuit » ? Ce qu’ils avaient dans le cœur n’était peut-être pas si éloigné de la part nocturne, de la part obscure de nos propres cœurs.
Ce monde inquiétant qui était le leur : un empereur qui fait les comptes de sa puissance, un gouverneur et son armée, la Syrie, Bethléem, la Judée… : on croirait entendre les titres d’un journal TV d’aujourd’hui avec son lot de violence, ses réfugiés, la crainte des fanatismes… Peut-être s’interrogeaient-ils sur l’avenir de leurs enfants, sur leurs fins de mois difficiles. On ne parlait pas encore de dérèglements climatiques quoique… certains auraient vu non sans angoisse dans le ciel une étrange étoile !…
Certains étaient dans la tristesse à la pensée de tous proches confrontés à la maladie, à une fin de vie loin d’être paisible. Il y avait ceux qui étaient atteints dans leurs affections : du tangage dans leur couple, des tensions dans leur famille… Et ceux qui, regardant ce ciel étoilé, se demandaient quel était le sens de leur vie face au silence de ces espaces infinis qui donnaient le vertige. Et Dieu dans tout ça ?…
Ils étaient là, sans doute comme nous ici cette nuit : avec dans le cœur, une immense attente, une soif profonde de compter pour quelqu‘un, un désir de paix, la quête d’une source en nous où pouvoir puiser cette bienheureuse espérance dont parle S. Paul.
Ces bergers qui habitaient le pays de l’ombre, comme dit Isaïe, ont vu alors se lever une grande lumière : des anges qui se présentent devant eux, l’annonce d’une bonne nouvelle. Autour d’eux résonne une louange céleste.
Mais était-ce si différent que ce qui nous est donné à nous comme signes maintenant en cette église. Même si ce n’était pas le chœur des anges en live… des chants ont résonné ici aussi : un Gloire à Dieu, un psaume, un alleluia ont retenti !
Nous venons d’entendre résonner la Parole de Dieu : dans la Bible, les anges c’est Dieu qui parle ! Ils surgissent souvent par surprise comme des messagers de Bonne nouvelle. Laissons-nous surprendre par ce qui vient de nous être dit : voilà que Dieu est venu se glisser dans notre histoire, il vient partager notre humanité, il vient prendre soin de nous. Mais de façon inattendue, déconcertante même pour nous qui croyons savoir de quoi il s’agit. Il est l’Emmanuel, Dieu avec nous et non Dieu au-dessus de nous. Un Dieu qui ne vient pas s’imposer, un Dieu dominant. Et dont il faudrait avoir peur. Devant qui on se sentirait toujours mal d’être si limité, si maladroit, si contradictoire aussi.
Il vient comme un tout-petit qui se confie à nous. Qui nous appelle à lui, si pauvres, si petits, si humbles bergers que nous soyons. Il nous espère même si nous avons l’impression d’avoir si peu de chose à lui offrir. Si peu de ferveur, si peu de foi.
Ce tout petit, ce Dieu humble n’en est pas moins ce Dieu de gloire qui habite au plus haut des cieux. Mais sa divine grandeur, c’est qu’il est infiniment grand en amour. C’est là qu’est toute sa grandeur et c’est sa seule grandeur : il n’est qu’amour, il est tout entier miséricorde, il est pardon toujours offert.
Contemplons-le dans la crèche, nous tendant les bras. Pour que nous le prenions contre nous avec tout cet amour qu’il vient nous offrir. Il naît parmi nous pour que nous le laissions naître en nous. Car c’est cela qui compte : un mystique du XVIIème siècle – Angelus Silesius – disait : « Jésus serait né mille fois à Bethléem, ce serait en vain si tu ne le laisses pas naître en toi »… Lui qui n’a pas trouvé place dans Bethléem, qu’il puisse donc trouver place en toi ce soir. Puissions-nous chacun nous laisser faire par cet amour infini qui nous environne souvent à notre insu mais qui ce soir frappe à notre porte pour être accueilli en nous. Il sollicite notre confiance, lui qui nous fait confiance. Où que nous en soyons, faisons confiance à sa confiance ; en croyant que nous comptons pour lui ; en nous laissant consoler par sa tendresse ; en nous laissant changer par lui.
Quelle réponse lui donner ? Celle que donnent Marie, Joseph, les bergers et tous ceux qui l’ont reçu depuis 2000 ans : prendre soin de Dieu. Le laisser habiter ce qu’il y a de beau et de bon en nous ; le laisser habiter aussi nos pauvretés et nos blessures. Etre pour lui comme une crèche. Ecouter sa Parole. L’accueillir humblement dans nos mains à chaque eucharistie.
Et puis lui demander de nous apprendre à prendre soin de lui en prenant soin de nos frères et de nos sœurs, nos tout proches et ceux qui, ici ou au loin, espèrent fraternité et solidarité. Prendre soin de cette terre, pendre soin de ce monde que Dieu aime. Faire comme lui : être proche, se faire prochain. Et être davantage croyant en ce Dieu qui nous dit tout bas ce soir : « Je suis Dieu et pourtant j’ai besoin de toi ! ».
Joyeux Noël à tous !