
A cette occasion, Mgr Jean-Luc Hudsyn a présidé la messe au Carmel d’Argenteuil ce dimanche 16 octobre 2016. Vous trouverez ci-dessous le texte de son homélie.
Mes Soeurs,
Soeurs et frères,
En cette fin d’année de la miséricorde, une parole d’Elisabeth de la Trinité nous rejoint particulièrement. Evoquant le psaume 41 : « L’abîme appelant l’abîme », elle a dit : « L’abîme de ta misère appelle l’abîme de sa miséricorde » !
« L’abîme de sa miséricorde »… Quand il s’agissait de Dieu, Elisabeth de la Trinité avait le sens de l’immensité. L’immensité de son amour, l’immensité de son appel, l’immensité de son pardon. Eduquée dans une religion quelque peu janséniste, non exempte de culpabilité, elle a dépassé cela en contemplant ce Dieu qui n’est qu’amour : devant cet abîme de la miséricorde de Dieu qu’elle a découvert, elle finira par dire : « maintenant c’est la confiance qui l’emporte dans mon coeur », la confiance en ce Dieu qui toujours nous fait confiance et revient vers nous : « Comprendrons-nous jamais combien nous sommes aimés ?! ».
L’immensité de Dieu… Ce qui était fascinant pour elle (« fasciner » : un mot qu’elle aime !) c’est que cette immensité de Dieu… demeure en nous, comme vient de nous le dire l’Evangile de Jean. C’est dans la droite ligne de ce qu’a éprouvé Thérèse d’Avila et tant d’autres : nous, les hommes et les femmes, nous sommes des êtres habités. Habités par cette immensité de l’amour de Dieu.
Bien sûr, la Trinité dans sa transcendance nous dépasse complètement : ce Dieu, l’univers ne peut le contenir… Et en même temps, cette communion du Père, du Fils et de l’Esprit, voilà qu’elle a fait en nous sa demeure. D’où ce cri d’Elisabeth : « O mon astre aimé, fascinez-moi ! De mon âme, faites votre ciel, et que je ne vous y laisse jamais seul ! » (21.11.1904) ! Elle vient d’avoir 24 ans, et c’est tout son désir, c’est sa joie, c’est sa fascination : cette proximité en nous de la présence de Dieu. Osons, nous aussi, croire en cela, qui que nous soyons, mais aussi où que nous en soyons : chacun, nous sommes comme ce temple dont parle Ezéchiel, et dans lequel s’est comme engouffré ce si grand, ce « trop grand amour » de Dieu.
Voilà bien de quoi nourrir la quête d’intériorité qui semble de plus en plus présente dans notre société occidentale. Sortir de ce trop-plein permanent d’activités, d’émotions, de rentabilité à tout prix qui nous tire hors de nous-mêmes, pour descendre en soi, pour réhabiter sa vie… C’est vrai cependant que la ‘quête de soi’ peut nous occuper indéfiniment, nous faire tourner en rond en nous-mêmes, sans y trouver cette source en nous que la personne du Christ vient nous révéler : en toi, un Autre habite, qui t’attend, te désire, qui veut ton accomplissement car il est ton créateur. Il veut te conduire à ce que tu es : créé à son image et à sa ressemblance. Voilà ce qu’Elisabeth de la Trinité contemplait et adorait : cette intimité de Dieu « au-dedans de nous ».
On comprend que cette révélation peut susciter chez certains ravissements ou extases. Ce ne fut pas son cas, pas plus que pour Thérèse de Lisieux. La contemplation et l’adoration de Dieu, Ste Elisabeth les a vécus dans l’ordinaire des jours : en aimant ses soeurs avec une infinie patience (ce qui n’était pas sa vertu première !…), une attention à chacune, une sensibilité qui la faisait pleurer avec une amie qui avait perdu un enfant (Jésus lui aussi a pleuré, disait-elle) ; qui la faisait s’exclamer de joie à l’annonce du mariage de sa soeur… Vivre les choses de la vie mais les vivre dans la présence de Dieu. « Tout le monde peut faire cela », disait-elle : se retirer un moment en soi pour se livrer à l’Esprit-Saint ; lui demander qu’il nous transforme dans son amour… Vivre d’une certaine façon l’apparente banalité du quotidien mais en lui, avec lui. Vivre la banalité du quotidien mais – avait-elle ajouté à une amie – : toi, « ne sois pas une âme banale ! ».
Dans ce passage de la lettre aux Ephésiens que nous avons entendu, elle avait été très marquée par cette expression qui revient par trois fois : tout vivre « à la louange de sa gloire ». C’est dès lors cela qu’elle veut : vivre tout à la louange de Dieu ! Etre en toute chose comme une action de grâce vivante ! Etre aussi comme un témoignage vivant qui donne envie aux autres de louer Dieu. Et comme elle dit aussi : être une incarnation de la gloire de Dieu, de son amour, de sa beauté…
Elisabeth n’était pas une exaltée. Elle vivait beaucoup dans le recueillement mais elle savait aussi ce qu’étaient les moments d’aridité intérieure, le sentiment d’impuissance et de souffrance quand le Maître se cache, comme elle dit. C’est le moment alors de « s’exercer à l’amour », de s’exercer à la foi : « Je ne jouis pas de sa présence alors je le fais jouir lui de mon amour ! »
« Aimer, c’est la science des saints et je n’en ai pas d’autres ! »… Sainte Elisabeth de la Trinité, dans la fraîcheur de ta jeunesse éternelle, cette science des saints, cet art d’aimer, ce secret dont le monde et nous-mêmes avant tant besoin, apprends-le nous !
+ Jean-Luc Hudsyn