
A la messe de minuit qu’il a présidée samedi 24 décembre en la basilique Notre-Dame de Basse-Wavre, Mgr Hudsyn a prononcé une homélie centrée sur la manifestation de l’Amour de notre Dieu par ce petit enfant donné à notre humanité.
« Cette nuit, sœurs et frères, toute l’Église fait mémoire de ce que S. Paul vient d’appeler la « manifestation de la ‘grâce’ de notre Dieu » De tous les mots dont il disposait en grec pour qualifier Dieu, S. Paul a choisi ce mot : « grâce ». Un mot qui dit que son amour est « gratuit », qu’il nous est donné sans condition. La grande révélation, la grande manifestation de cet amour gratuit de Dieu commence ainsi : avec un petit enfant emmailloté dans une mangeoire, qui ne vient rien exiger, qui nous tend les bras, qui se fait chair, et nous apporte toute sa fraîcheur d’enfant dans ce monde un peu vieux par moments. Qui vient mettre sa nouveauté et son élan dans nos cœurs un peu sceptiques et fatigués par la violence. C’est en lui que, pour nous chrétiens, Dieu vient nous dévoiler son vrai visage.
Cet enfant deviendra celui qui parcourra les routes de Palestine, parlant d’un Dieu de bonté et de miséricorde, posant des gestes inattendus de tendresse et de pardon en son Nom. Il sera ce prophète contesté, rejeté, crucifié mais qui au matin de Pâques se révèlera plus fort que la mort et plus fort que la haine. Il est ce Vivant présent ici au milieu de nous qui continue de venir mettre de la vie, de l’espérance et de la paix dans nos cœurs.
Dans la manière de raconter sa naissance, S. Luc comme S. Matthieu – chacun à leur manière – ont voulu nous faire comprendre entre les lignes de leur évangile combien, à travers Jésus, Dieu venait nous prendre en fait au dépourvu ! Tout dans ce récit est en contraste. Tout est paradoxal.
En Jésus, ce Dieu qui vient à nous est de l’ordre de l’Inouï et de l’Inédit ! Et d’abord dans ce qui est le cœur de ce récit : à travers cet enfant c’est Dieu qui vient nous rejoindre, qui vient partager nos vies. Dieu n’est pas installé dans son ciel, loin de nous, ailleurs que là où se passe nos vies : notre Dieu est celui qui vient habiter avec nous. En Jésus, il sait ce que c’est que notre humanité avec ses joies, avec ses peines, avec sa beauté, avec ses angoisses. La naissance de Dieu parmi nous ne se passe pas en plein soleil au cours d’une croisière de rêve… Noël se passe dans la nuit, dans une étable, alors que pour ce couple il n’y avait pas de place… Merveille : rien n’est trop humble, rien n’est trop obscur dans notre vie et celle du monde pour que Dieu vienne nous y rejoindre !
On pouvait croire que si Dieu allait se faire proche ce serait à la façon des puissants de ce monde, comme l’était l’empereur Auguste, ou ce roi Hérode jaloux de son pouvoir. En cet enfant, Dieu montre qu’il n’est pas celui qui nous regarde de haut, qui manipulerait la contrainte, qui vient s’imposer de force ; contrairement à ce que certains voudraient croire ou nous faire croire, le Dieu que révèle Jésus n’est pas de côté de la violence. Ceux qui sèment la terreur ne peuvent évidemment se réclamer de lui. A Bethléem, ce Prince de la Paix, vient désarmé. Il se propose à nous, tellement humblement que beaucoup passent sans le voir.
La peur de Dieu qui habite peut-être parfois nos cœurs n’a pas de raison d’être avec lui. Au VIème siècle, un évêque de Ravenne – St Pierre Chrysologue – disait que Dieu s’est fait enfant pour que justement nous cessions d’avoir peur de lui. D’une certaine façon, c’est plutôt nous qui devrions avoir peur « pour » lui : si fragile, si discret, sera-t-il reconnu ? Et de fait, s’il nous tend les bras, c’est pour que nous le prenions dans les nôtres, pour nous occuper de lui, pour nous faire les porte-parole de son Évangile, pour devenir les bergers de son amour, pour être nous-mêmes au cœur de ce monde le levain actif de cette espérance qu’il nous apporte.
On pouvait croire que si Dieu venait, c’était pour se venger de nos offenses, et que les pécheurs n’avaient qu’à bien se tenir… Et voilà que les premiers que les anges appellent ce sont des bergers, des gens mis à l’époque dans la catégorie des mal considérés. Ils seront les premiers à comprendre que ce Dieu-là est plein de bonté et de miséricorde, que son amour est ‘grâce’, gratuit, sans condition même quand on ne peut venir à lui que les mains à peu près vides.
Quelle est cette lumière que Noël continue de nous apporter ? Quelle est cette paix que les anges veulent faire résonner dans nos cœurs ? Au Moyen-Orient, en Afrique centrale, dans nos villes frappées par des attentats, ou dans nos vies personnelles, la nuit est parfois bien noire. Et pourtant, nous voulons croire que nous ne sommes pas abandonnés à la seule puissance du mal et de la mort. Des hommes et des femmes de bonne volonté ne cessent de croire à la lumière, de travailler à la paix, de secourir et de consoler ceux qui sont meurtris.
Nous croyons que Dieu continue de frapper à notre porte pour faire de nos cœurs une crèche où il peut naître en nous et, de l’intérieur, nous rassurer, nous re-suciter, faire de nous des témoins actifs et féconds de son pardon, de sa tendresse, de sa justice.
Lui qui s’abandonne à nous, abandonnons-nos à lui : il nous entraîne à faire comme lui, à ne pas rester distants : ni distants de Dieu, ni distants des autres, ni distants du meilleur de nous-mêmes : il nous rappelle, qu’avec sa « grâce », tous à notre façon nous pouvons enfanter une humanité meilleure, plus humaine, et plus divine ! »
+ Jean-Luc Hudsyn