« Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». Une parole qui m’a particulièrement interpelé cette année, c’est une homélie du prieur des moines de Thibirine – Christian de Chergé – proclamé maintenant bienheureux. Méditant ce verset de S. Jean – « Et le Verbe s’est fait chair » – il ajoute : Oui, à Noël, « le Verbe s’est fait frère »…
Noël… Dieu qui vient nous parler de fraternité… C’est bien en résonnance avec cette encyclique que vient d’écrire le pape François : Fratelli tutti. Tous frères et sœurs les uns des autres. Dans cette fraternité il y voit plus qu’une valeur morale parmi d’autres : il y voit un essentiel pour notre foi, pour notre mission, pour notre identité de chrétiens.
« Et le Verbe s’est fait frère »… Dans la crèche, en effet, nous est manifestée cette fraternité dont Dieu a l’initiative. Elle vient de ce Père qui nous adopte et fait de nous comme ses enfants. S. Jean vient de nous le dire : « il nous donne le pouvoir d’être enfants de Dieu », et par là-même il nous confie les uns aux autres comme frères et comme sœurs. Cet enfant de la crèche, Dieu nous le confie. Et, dans une même tendresse, il nous rappelle que les autres, il nous les confie aussi : notre conjoint, nos enfants et petits-enfants, nos parents et grands-parents, nos voisins, nos amis, nos collègues, l’inconnu croisé par hasard, ceux qui sont au loin et dont le sort nous préoccupe. Tous, ils nous sont fraternellement confiés.
La qualité de cette fraternité, nous la recevons de ce Jésus qui nait et qui ne cessera de vouloir ouvrir des chemins de fraternité, et d’une fraternité sans frontière. Il s’est fait le frère de ces bergers de Bethléem, des petits, des gens – on le sait – pas toujours bien vus dans la société de ce temps-là. Il se fait le frère de ces mages, ces chercheurs de sens, venus d’autres horizons culturels, religieux… C’est comme cela qu’il se vit comme l’envoyé du Père : en se faisant frère de tous. Dès lors, si nous cherchons à être « de ceux qui l’ont reçu », nous sommes invités – selon ce que dit Isaïe – à devenir avec lui des messagers et des guetteurs de vie fraternelle : être de ceux qui portent la bonne nouvelle et annoncent le salut.
Dans ces temps que nous avons à traverser, nous pouvons bien comprendre que la fraternité est vraiment un chemin de salut. Nous savons tous combien ont été précieux pour nous celles et ceux qui se sont comportés envers nous comme des frères et des sœurs proches, aimants, attentionnés, fidèles… Nous voyons combien sont précieux ceux qui se donnent avec cœur dans le maintien de toutes les formes possibles de solidarité, de soin, de soutien.
Bien sûr, des situations éprouvantes, parfois tragiques, nous entourent ou nous atteignent nous-mêmes. L’Evangile n’ignore pas cela : le récit de Noël se passe dans la nuit. Mais dans cette nuit de Bethléem, comme dans ces temps obscurs qui sont les nôtres, il n’en est pas moins vrai que des étoiles se sont levées, que des anges, gardiens d’espérance, se sont fait proches, faisant naître autour d’eux douceur, paix, encouragement…
Dieu se fait frère. C’est à cette fraternité qu’il veut nous engendrer. Il vient nous parler de son Père qui est notre Père à tous. Il vient nous parler de tous ceux dont il disait : « ils sont mes frères, elles sont mes sœurs ».
S. Jean nous parle aussi de ceux qui ne l’ont pas reçu. Reconnaissons-le pour nous-mêmes : cette fraternité, cette hospitalité bienveillante, cette capacité d’être frère universel comme disait Charles de Foucauld, n’est-ce pas nous demander l’impossible ?…
Là aussi, ne passons pas à côté de la bonne nouvelle de Noël. La première conversion, c’est de faire comme les bergers : nous mettre en marche vers cet enfant de la crèche qui vient justement nous rejoindre dans la fragilité de notre chair. Il ne nous regarde pas de haut. Désarmé, il nous tend les bras. Il est en désir de nous, au-delà de nos imperfections. Si lui, le Fils de Dieu, a pu accepter de naître dans une étable, comment refuserait-il de venir naître en nous, même si les recoins de notre cœur sont parfois bien obscurs ? Et de même, comment hésiterait-il à renaître sans cesse dans son Eglise alors que tout est loin d’y être lumineux ? Comment ne viendrait-il pas renaître dans nos communautés où ses disciples ne font pas toujours preuve entre eux d’une grande fraternité… « Il est venu chez lui » – Nous sommes son chez lui. Et même si en nous, tout n’est pas entièrement prêt à le recevoir, il suffit que nous lui entrouvrions notre porte : un peu de place lui suffit pour venir habiter en nous, pour nous faire naître de Dieu, pour travailler notre cœur, l’élargir, l’humaniser, y mettre plus d’amour, plus de grâce et de vérité.
Oui, sœurs et frères, laissons l’Emmanuel naître en nous. Laissons-le passer devant nous. Ecoutons-le nous dire déjà tout bas ce que, Ressuscité, il dira à Marie-Madeleine : « Va vers mes frères ».
« Va vers mes frères. Va vers mes sœurs ». Et tu auras mystérieusement part à ma plénitude. Et, crois-le, tu recevras grâce après grâce !
+ Jean-Luc Hudsyn