
Sœurs et frères,
Pour parler du mystère de la Nativité, S. Paul résume cela ainsi : « La grâce de Dieu s’est manifestée à tous les hommes ». La « grâce », c’est le mot que les premières communautés chrétiennes vont choisir pour caractériser l’amour de Dieu qui se révèle, qui se manifeste en Jésus-Christ. Le mot amour est utilisé pour dire beaucoup de choses – parfois tout et son contraire – le mot grâce qu’utilise S. Paul désigne un amour qui a comme caractéristique d’être gratuit ; offert à titre « gracieux » comme on dit ; un amour qui se donne sans condition, qu’on n’a pas à mériter.
C’est ce qui se passe dans cette nuit de Noël, c’est ce qui se passe « aujourd’hui » comme le dit avec insistance cet ange, cet envoyé de Dieu : Dieu vient, il se fait proche de chacune et chacun d’entre nous. Et il vient à la manière du Dieu de notre foi. Un Dieu qui ne nous regarde pas de haut : il se fait le Très Bas pour que personne ne puisse se sentir humilié par lui. Il nous envoie un enfant qui nous tend les bras, pour que personne ne sente en lui un Dieu qui viendrait s’imposer à nous. A Noël, Dieu ne vient pas nous éblouir de sa splendeur, il ne vient pas nous agenouiller de force par sa puissance. Il vient mais comme un Dieu caché, humble, un Dieu qui se laisse chercher, qui n’exige rien mais qui demande, qui s’offre à nous. L’autre jour, la dernière de mes nièces m’a mis dans les bras son premier enfant nouveau-né… Quand on vous met un nouveau-né dans les bras, vous êtes sans doute comme moi… on est traversé de sentiments mêlés et délicieux : on ressent de l’émotion, de la tendresse, de l’émerveillement et aussi une attention extrême, une certaine crainte devant ce cadeau si fragile.
On a sans doute tous notre idée sur Dieu, les bonnes et parfois les pires. Dieu veut mettre cela au point. Pour nous faire comprendre qui Il est, qui est le Dieu de la foi chrétienne, d’abord il vient vers nous – c’est donc qu’à ses yeux nous en valons la peine, nous les humains parfois si déconcertants, si maladroits, si contradictoires. Et il vient se faire proche dans ce tout-petit. Ce soir, le Dieu qui effectivement trône au plus haut des cieux, le créateur de l’univers, celui dont la grandeur « remplit le ciel et la terre », voici qu’il vient dans l’humilité d’une crèche, il vient nous tendre les bras pour que nous prenions soin de lui…. Et je pense à cette prière de Etty Hillesum, une juive du siècle dernier, touchée par cette fragilité de Dieu et qui disait : « Je vais t’aider, mon Dieu, je vais défendre jusqu’au bout ta demeure où tu t’abrites en nous. Je vais prendre soin de toi ».
Ce Dieu qui vient à Bethléem cherche tous les moyens pour nous dire cette Bonne Nouvelle, cette nouvelle si bonne qui nous dit : ce soir, qui que tu sois, où que tu en sois, une lumière brille pour toi. Un chemin de naissance, de renaissance est ouvert pour toi. Et sur ce chemin tu n’es pas seul. Tous nous sommes des êtres, ‘enveloppés de cette lumière’, entourés de ce Dieu-là, de cet amour-là : un amour qui se propose, qui vient nous mettre en route, qui vient relancer en nous la vie, qui donne courage et espérance.
Il ne vient pas pour faire un soir comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes, il vient, mais dans la nuit. Parce que dans notre vie, et dans notre monde il y a aussi de l’obscurité. Noël cela se passe dans un temps où un empereur fait l’inventaire de sa puissance, où Hérode qui s’accroche à son pouvoir par la violence – on le verra avec le massacre des innocents ; cela se passe dans une bourgade où il n’y avait pas de place pour un jeune couple qui attendait un enfant…
Et donc le message de l’ange, ce soir s’adresse aussi à nous qui faisons peut-être bonne figure, parce que c’est Noël, mais qui avons dans un coin de nous-mêmes de la tristesse au cœur ; qui portons la douleur d’un deuil, d’un échec ; qui ne trouvons pas toujours non plus notre place ; qui manquons de tendresse, d’estime de nous et des autres. Le Christ vient pour que nous lui fassions une place en nous ; il nous envoie ses anges de paix : pour nous dire que nous ne sommes pas abandonnés, que nous sommes précieux à ses yeux. Il vient soutenir notre faiblesse, et nous dire tout bas que ce qu’il a traversé, avec lui nous pouvons – pas à pas – le traverser. Il vient mettre de la paix dans notre cœur et de la confiance : car Noël n’est qu’un début : c’est aussi une promesse de vie et de résurrection à l’œuvre dans nos épreuves et celles du monde. C’est pourquoi nous ne pouvons pas au pied de la crèche être dans l’indifférence pour ce qui se passe aussi en Centre-Afrique, en Syrie, en Ukraine, à Lampedusa. Nous ne pouvons pas oublier nos frères chrétiens d’Orient qui demandent notre communion.
Avec les bergers, ce soir, nous entendons cet enfant nous dire :
Quand tu prends soin des petits, des pauvres, des souffrants qui sont mes frères ; quand tu te soucies des sans-voix, de ceux pour qui il n’y a pas de place, dans nos finances et nos budgets, et parfois dans nos cœurs ; quand tu te fais solidaire dans la prière et le partage ; quand tu te fais berger des autres, messager de paix, c’est de moi que tu prends soin, c’est mon règne qui vient, c’est ma volonté qui prend chair.
A Noël, c’est notre vocation d’hommes et de femmes qui s’éclaire : nous sommes capables de choses divines, nous sommes capables d’incarner l’amour de Dieu : dans nos petitesses et nos obscurités, Dieu se fait assez petit pour se glisser dans nos cœurs, et habiter nos vies et à travers nous, habiter ce monde. Si nous nous laissons aimés par lui, si nous l’aimons en retour, lui et les hommes qu’il aime, à travers nous sa Parole peut relancer la vie. Il est déposé dans une mangeoire… c’est bien une allusion à l’eucharistie ! Si nous communions à lui, si littéralement nous buvons ces paroles, si sa vie, ses choix, son amour deviennent notre nourriture : alors il fera littéralement de nous ses anges…
Même si nous ne sommes pas tous les jours angéliques, nous pourrons être du moins un peu comme les anges de l’Evangile de cette nuit des messagers en parole et en acte de sa bonne nouvelle, des acteurs de fraternité, des témoins de ce que là où on vit accueil et fraternité, là Noël continue, là Dieu se fait proche, là il continue de naître, dans nos familles, dans nos paroisses, et partout en ce monde. « Gloire à Dieu » !
+ Jean-Luc Hudsyn