Église catholique en Brabant wallon

Archidiocèse de Malines-Bruxelles (Belgique)

Église catholique en Brabant wallon

 

Homélie de Mgr Hudsyn – Cathédrale Sts-Michel et Gudule

5ème dimanche de carême C – 13 mars 2016

Dans ce carême qui nous mène vers Pâques, nous avons un évangile qui a déjà comme un parfum de résurrection. L’attitude de Jésus ressuscite cette femme. Ne la met-il pas en route vers une vie nouvelle….
En écho, Dieu nous dit en Isaïe : « Voilà que je fais une chose nouvelle ! » Et pour Paul, ce qui compte désormais, c’est d’aller de l’avant !

Sur l’esplanade du temple, les scribes et les pharisiens amènent donc à Jésus une femme qu’ils réduisent à n’être plus qu’un cas. Pour eux la cause est entendue : c’est et ce n’est qu’une adultère. « Et toi ? Que dis-tu de ce cas ? »…

Pour Jésus, cette femme est une personne. Alors que scribes et pharisiens parlent d’elle à la troisième personne : « cette femme » … « ces femmes-là », Jésus s’adresse à elle, à la 2ème personne. Plus encore : il lui donne la parole. Il la fait exister…

Il lui ouvre alors la possibilité d’un avenir nouveau : « Va ». A aucun moment, Jésus ne la réduit à ce qu’elle a fait. C’est à son être profond qu’il s’adresse ; c’est à son être profond qu’il fait confiance : « Désormais ne pèche plus » !

C’est la merveille que devaient découvrir ceux qui rencontraient Jésus – et c’est la merveille qui peut surgir de notre propre rencontre avec le Christ : on découvre avec Lui ce regard qui – comme le disait Isaïe – fait passer un chemin dans le désert de notre mal-être intérieur, de nos culpabilités, de nos complicités avec le mal. Son regard nous sauve de la honte ou même de la haine de soi qu’on peut parfois éprouver vis-à-vis de soi-même. Son regard me dit que je ne puis être non plus réduit à ce que les autres disent parfois de moi… Je découvre, dans les yeux de Jésus que, fondamentalement, je suis ce que Dieu dit de moi ! Et ce que Dieu dit de moi c’est d’abord : « Je ne te condamne pas ».

« Je fais une chose nouvelle ; elle germe déjà » disait le prophète. Ce qui pointe déjà dans cet évangile de ce 5ème dimanche de carême c’est une annonce de la résurrection. Pour le Christ, il n’y a pas de situation où Dieu en arriverait à désespérer de nous, à nous retirer sa confiance. Sa Parole nous invite à oser croire que Dieu est pour chacun de nous créateur d’avenir. Qu’il ne veut ni ne peut condamner car condamner, c’est interdire à l’avenir de se déployer…

Bien sûr, à la fin de cette rencontre, Jésus dit à cette femme – et il le dit à nous aussi : « Va ! et désormais ne pèche plus ». Jésus n’innocente pas cette femme. Jésus appelle les choses par leur nom : ce qu’elle a fait est de l’ordre du péché car ce qu’elle a fait dé-crée des liens, blesse des relations, sème de la souffrance…
La femme, d’ailleurs, ne cherche pas à se justifier ou à se disculper. Elle ne se positionne pas comme les scribes et les pharisiens qui jugent de tout parce qu’ils se croient innocents, parce qu’ils s’estiment être des justes.

Jésus n’excuse pas, il ne la rassure pas en lui disant que ce n’est pas grave, il ne ferme pas les yeux : en lui, amour et vérité se conjuguent toujours. Pour lui, la loi demeure dans sa mission de m’avertir des enjeux de la relation. Les interdits majeurs m’en disent les impasses : si tu prends ce chemin-là alors sache que ton lien à l’autre est menacé – mais aussi ton lien à Dieu et même ton lien au meilleur de toi-même. Là tu vas être source de mal, engendrer du malheur. La loi opère un jugement, un discernement, elle met des repères et des balises pour qu’on s’interroge sur son agir, pour nous désigner la route du bien, de l’amour vrai, d’un vivre-ensemble apaisé.

Ces hommes qui font cercle autour de cette femme, eux se servent de la loi et la brandissent pour humilier ; non pas pour juger et discerner mais pour condamner et exclure. Il leur importe peu qu’il y ait sans doute aussi de la souffrance en elle, ils ne se soucient guère des blessures de son histoire. Pas un seul moment, ils se demandent comment la faire avancer, la faire progresser. Pour eux la morale c’est toujours facile : c’est blanc ou noir… et c’est sans doute cette facilité qui nous tente souvent : ce confort de la condamnation qui nous met du côté des justes…

C’est ce fonctionnement que Jésus vient enrayer. Mais il le fait à sa manière… Il ne va pas non plus humilier et condamner les scribes et les pharisiens – ni nous non plus… quand il nous prend l’envie de leur ressembler ! Il les remet en vérité. Devant leurs propres adultères, leurs infidélités à eux face à ce Dieu qui est amour et miséricorde : ne s’en souviennent-ils pas alors qu’ils sont là au premier rang des synagogues, récitant dévotement ces psaumes qui parlent pourtant d’un Dieu qui est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ?

Jésus ne les remet pas à leur place. Il ne les humilie pas : il garde le silence, dessine sur le sol ; il s’abaisse … ne les regarde pas de haut ! Il leur rappelle simplement que personne n’est innocent… Que beaucoup nous a déjà été pardonné…C’est ce silence distancé, qui ne leur fait pas la morale… qui devient, pour eux aussi, créateur. S’ils s’en vont, à commencer par les plus vieux, c’est sans doute qu’en avançant en âge, on réalise qu’on a beaucoup bénéficié – et de la miséricorde de Dieu – et de la miséricorde de beaucoup d’autres !…

Le pari de Jésus – c’est le Pape François qui le souligne – le pari de Jésus c’est que ce qui change les cœurs, le moteur de la conversion, c’est la miséricorde qui se donne sans condition. Je note d’ailleurs que si Jésus parle effectivement du péché, c’est à la fin de cette rencontre avec cette femme. C’est-à-dire après qu’elle ait pu d’abord se sentir respectée et accueillie. C’est par la miséricorde que Jésus prépare les cœurs à se convertir ; ne serait-ce pas cette miséricorde qui n’humilie pas les scribes et les pharisiens qui a fait tomber les pierres de leurs mains ?

Ce primat de la miséricorde qui change les cœurs, S. Paul en fait intensément l’expérience. Ce qui a entraîné sa conversion c’est que tout persécuteur du Christ qu’il était, c’est le Christ qui – gratuitement, sans qu’il l’ait mérité – est venu vers lui, l’a appelé, a cru en lui, et lui a fait confiance. « Eprouver la puissance de résurrection du Christ » comme il dit, c’est éprouver cette puissance de vie, de renouveau que peut provoquer la bienveillance, la patience, la miséricorde qui ose croire en l’autre. Et qui sait faire le premier pas. Sur la croix, le Christ a pardonné à des gens sans pardon et qui ne demandaient pas pardon… Il a fait là une chose nouvelle… il en a payé le prix !

Dans ce monde qui mise trop souvent sur la productivité, la rentabilité, l’excellence, la concurrence, un monde sans merci et violent, le pari de Dieu c’est de croire que c’est la miséricorde qui est germe de vie, qu’elle peut enrayer la spirale du mal. S. Jean Paul II disait : « L’unique vérité capable de contrebalancer le mal est le fait que Dieu est Miséricorde. Car elle a le courage de dire au mal : « Tu n’iras pas plus loin ! »…

+ Jean-Luc Hudsyn

Lire cette homélie dans le document lié