
Ce mardi 24 septembre, tous les membres du Centre pastoral, les collaborateurs, et bon nombre d’assistants paroissiaux ont célébré ensemble la rentrée pastorale 2019/2020. Mgr Jean-Luc Hudsyn a coprésidé cette messe avec son adjoint, l’abbé Eric Mattheeuws et des prêtres du Vicariat. C’est au cours de cette célébration que six animatrices pastorales ont été envoyées en mission.
Voici l’homélie que Mgr Hudsyn a prononcée. Vous pourrez en télécharger le texte en suivant ce lien.
À son retour d’exil, le peuple juif est découragé de retrouver le temple de Jérusalem en ruine. Et voilà que c’est ce roi païen Darius qui vient, par décret, leur rendre le moral : « Je vous aiderai à rebâtir cette maison de Dieu ».
Un tel encouragement nous ferait parfois du bien devant certaines analyses qu’on peut trouver sur l’état de notre Église… Cet été, La Libre titrait : Le grand blues de l’Église belge… Avoir le blues… mais au fond c’est quoi le blues ?
Des esclaves noirs sur les bords du Mississipi chantaient ainsi leur tristesse, leurs idées noires, si j’ose dire… (en fait, une expression anglaise parlait plutôt dans ce cas d’avoir des idées bleues… d’où le mot blues). Une musique qui oscille entre le mode majeur et le mode mineur… Un mélange de tonalités qui dit que, bien sûr, la vie n’est pas drôle (accord mineur) mais qu’avoir le blues, ce n’est pas non plus être totalement désespéré (accord majeur). C’est aussi une musique née pour rythmer le travail dans les champs de coton… Pas une musique de salon. Ni non plus venant de gens alanguis, qui se laissent aller, mais d’hommes et de femmes qui gardent un attachement tenace à la vie : ils sèment, ils plantent, ils récoltent. Ils ont dur mais ils ne sont pas sans espérance… Et ils le chantent !
Esdras (Esd 6, 7-8.12b.14-20) est dans le même état d’esprit : il écrit pour encourager le petit reste d’Israël à se retrousser les manches et à ne surtout pas céder au découragement. Rebâtir ! Rebâtir la maison de Dieu.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’Église, qu’on traverse des situations qui peuvent donner le blues à certains… Mais voilà : nous, c’est dans ce moment-ci de l’histoire de l’Église que le Seigneur nous appelle et nous envoie. Un moment compliqué où s’entrechoquent un certain passé et un avenir pas très clair (un peu cotonneux pour rester dans le blues). Avec ce que cela comporte comme incertitudes, comme moments de doute, de découragement.
Un temps exigeant où nous sommes peut-être plus appelés à semer qu’à récolter… à chercher à tâtons notre chemin qu’à vivre de recettes et d’évidences… Un temps où mettre la Parole en pratique nous demande de travailler aux fondations, à ce qui est fondamental. Re-fonder la foi, re-fonder l’Église… Ce qui est peut-être plus ardu que de fonder la foi, que de fonder l’Église : là on fonde du neuf, on fait de l’inédit. Nous, on annonce du déjà connu, même s’il est si mal connu et on essaye de faire du neuf, alors que l’ancien est toujours là.
Pour mener à bien ce travail de refondation, le pape François nous dit avec insistance qu’il faut aussi nous travailler nous-mêmes. Ce n’est pas d’hier qu’on disait qu’il fallait un renouveau, relancer la mission, l’évangélisation : avec parfois le risque de vouloir changer les autres sans vraiment nous changer nous-mêmes. On parlait d’évangéliser les autres, mais sans évangéliser nos paroles et nos façons de faire.
C’est pourquoi, nous voilà invités à être des disciples missionnaires, comme dit le Pape : ce qui colore la façon de vivre la mission, comme une façon de rendre compte de la joie intérieure que cela nous donne d’être des disciples. Une chose est de transmettre les valeurs du christianisme et les énoncés d’un Credo ; autre chose est d’essayer de partager ce que ça change à notre vie, que de croire au Credo, en quoi notre lien au Christ est source de de vie, d’espérance, et d’une façon d’aimer qui n’est pas toujours ce que le monde appelle aimer…
Et donc pas de mission ajustée sans chercher à habiter la Parole du Christ ; pas de mission féconde sans se laisser spirituellement travailler par l’Esprit. Bref pas de mission sans être de la famille du Christ, sans devenir comme sa mère et ses frères par une Parole écoutée, priée, célébrée, agie. J’ajoute ceci : quand Jésus parle de l’écoute active de sa parole comme une façon d’être vraiment sa famille, il met en avant une tonalité familiale, fraternelle. Il nous faut soigner cette tonalité plus que jamais « pour que le monde croie » comme dit S. Jean. On trouve parfois que, justement dans ce passage (Lc 8, 19-21), Jésus ne ménage pas vraiment sa mère et ses frères !
Un écrivain italien (qui se dit non-croyant) – Erri De Lucca – prend le contre-pied ! Il voit dans ce passage beaucoup de tendresse. Un jour donc Marie, curieuse d’écouter Jésus, rejoint ce groupe mais se tient à l’écart. « De loin, Jésus me reconnut et me fit un sourire. La foule qui l’entourait s’est écartée pour me laisser passer. Mais lui n’a pas voulu ; et l’a gardée serrée autour de lui. Il leur a dit qu’à ce moment-là sa famille, c’était eux : Vous êtes ma mère et mes frères. Et alors il m’a souri… comme pour s’excuser… »
Je trouve délicieux de voir qu’après cette parole un peu rude, il y a ce : « alors il m’a souri, comme pour s’excuser ».
Dans la mission pastorale n’oublions pas cela : il nous faut parfois dire des choses plus difficiles, plus confrontantes… mais n’oublions pas ce sourire… ce souci de fraternité à maintenir. Qui ne fonctionne pas à coup d’injonctions, qui ne cède pas à l’impatience. Qui traite chacun comme un frère, comme une sœur de Jésus. Parfois dans la souffrance, la déception mais en gardant pour chacun ce fond de bienveillance, et d’espérance… un peu comme dans le blues.