
Jn 1, 35-42 – Dans l’Evangile de Jean, Jésus aime nous poser des questions. Il le fait 44 fois ! Celle-ci est la première : elle donne le ton. C’est LA question de Jésus : « Que cherches-tu ? »
Il va droit au plus profond de nous-mêmes : « quel est ton désir ? »
C’est la question que tout baptisé doit se poser. Mais c’est la question qu’il pose en cette célébration à nous tous qui vivons une consécration toute spéciale de leur vie au Seigneur dans la merveilleuse diversité des vocations et des missions qui sont les vôtres.
A chacun et à chacune de vous, et à nos communautés, la question est donc : « quel est ton désir le plus profond ? ». Que l’on soit jeune dans sa vocation ou que l’on ait l’âge d’Anne ou de Syméon… c’est la question !
On dit que la vie consacrée n’est pas au mieux de sa forme dans notre pays : on peut toujours dire que c’est la faute au monde, à la culture, à la société ou à la TV, hier – ou à internet, aujourd’hui.
C’est sans doute vrai en partie mais cela ne doit pas nous empêcher de nous demander : moi, là où j’en suis, et ma communauté : que cherchons-nous vraiment ? où est notre désir ? où est notre cœur ?
Plus largement, c’est bien évidemment la question que toute l’Eglise doit se poser : que cherchent les chrétiens ? quel est leur désir ? Car ce qu’on appelle « la crise des vocations », comment ne pas voir qu’elle a partie liée avec l’intensité de la vie de foi de l’ensemble de la communauté chrétienne. Ce n’est pas simplement l’affaire de chaque congrégation, des séminaires, des monastères. La question est plus radicale : nous les chrétiens de ce pays que cherchons-nous ? quelle quête peuvent pressentir en nous ceux qui ‘viennent’ et qui nous ‘voient’ vivre ?
C’est bien la première évangélisation qu’il nous faut sans doute assurer aujourd’hui. Quoiqu’on dise d’eux de façon un peu rapide, bien de nos contemporains – même s’ils paraissent souvent désenchantés – s’interrogent en même temps sur le sens de tout ce que nous vivons et ce vers quoi nous allons.
Les « crises » comme on dit, sont toujours des moments où émergent aussi la question du sens : « pour-quoi ? » – Pour-quoi vivre ? pour quel monde faire des enfants ? l’argent et la finance : en vue de quoi ? au service de quoi ? C’est le moment où on se tourne vers les donneurs de sens au risque de se contenter de vendeurs d’illusion – et qui auraient bien tort de se gêner s’ils sont les seuls qu’on trouve aux carrefours de nos cités et sur les nouveaux agoras fréquentés en particulier par les jeunes.
Beaucoup de ceux qui nous entourent sont comme ceux qui entouraient Jean-Baptiste : ils attendent qu’on leur désigne du doigt celui auprès de qui ils pourraient demeurer pour y trouver enfin la source d’une vie nouvelle.
Et donc – pour reprendre les mots de l’encyclique Deus Caritas – quand ceux qui nous entourent et qui ne sont pas de notre enclos nous regardent, pressentent-ils bien que ce qui oriente radicalement notre vie ce n’est pas un moralisme, « une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne », qui donne à notre vie à la fois sa source et son horizon au point qu’il soit devenu la passion qui a ravi nos cœurs ? Pressentent-ils que c’est dans la rencontre du Christ qu’est radicalement enraciné notre désir le plus profond, notre raison de vivre et notre joie de vivre.
Cela ne se creusera dans le peuple chrétien que s’il trouve un goût profond de demeurer auprès de Dieu. C’est une tâche que la pastorale ne peut minimiser aujourd’hui : donner à tous le goût d’une vie authentiquement spirituelle, c’est-à-dire le goût d’une vie tout entière vécue au souffle de l’Esprit, dans une amitié avec le Christ, dans l’écoute priante de sa Parole, dans une croissance vers une foi adulte qui nous ouvre sur la Bonté et la Beauté du mystère de Dieu de notre foi, et qui nous ouvre sur une compréhension de l’homme et du monde à la lumière de Dieu.
S. Paul avait trouvé cette piste : annoncer auxGrecs le dieu inconnu dont la stèle était présente à Athènes. Pour nous le chemin est peut-être plus ardu. Nous avons autour des nous, des hommes et des femmes pour qui Dieu est désormais le grand inconnu et souvent le grand absent ou le grand oublié. Et pourtant assure Mgr Dagens dans une intervention récente : Dieu est aujourd’hui à la fois inconnu, méconnu et pourtant attendu. Une attente qui se réveille souvent quand les événements viennent bousculer une existence, quand se présentent l’épreuve, les difficultés, les choix à faire, des dialogues qu’on peut nouer…
Comme ce premier dialogue que noue Jésus et ses contemporains dans l’Evangile de Jean : « Que cherches-tu ? ». Avec cette réponse : « Où demeures-tu ? ». Une manière de dire : ce que je cherche c’est le lieu où tu demeures.
Cette éducation commune au mystère de notre Dieu qu’il nous faut tous entreprendre en Eglise et reprendre sans cesse, la vie consacrée en est l’aiguillon. C’est son apport et sa mission. Il nous faut la reprendre sans cesse dans nos communautés de vie consacrée – car avec le temps, et parfois la lassitude… notre quête peut ne plus nécessairement chercher vraiment la radicalité de l’Evangile – or c’est notre vocation. Et c’est aussi notre mission, notre raison d’être au cœur de l’Eglise et du monde. C’est toujours beau – puisque nous sommes ici à l’ombre de la fête de la Présentation de Jésus au temple – c’est beau de voir ces deux aînés – Anne et Syméon – retrouver comme une nouvelle jeunesse dans la rencontre de celui qu’ils ont tant cherché et attendu. Le pire avec l’âge – comme personne ou comme communauté – ce serait – et c’est un risque – d’en arriver peu à peu à s’éloigner de Dieu, du Dieu de notre jeunesse, comme dit le Psaume. Et qu’il n’y ait plus de quoi dire vraiment à notre propos : « Venez et voyez » !…
Il nous faut donc sans cesse chercher où demeure Dieu : dans la prière, la Parole, la liturgie et l’intériorité. Mais il faut que nous allions le chercher là où il demeure aussi : dans le cœur des hommes et des femmes de ce temps, dans les cœurs inquiets et les corps souffrants, dans ceux qui sont rejetés et laissés pour compte. Le charisme des fondateurs de vos congrégations et de vos communautés vous désignent du doigt ceux vers qui ils voulaient vous envoyer comme on va vers l’Agneau de Dieu.
Mais là aussi nos contemporains doivent pressentir que nous n’y allons pas que par humanisme ou pour y faire de l’humanitaire. Nous y allons aussi parce que chez ceux que nous voulons servir et dans les milieux où nous sommes envoyés, nous déchiffrons la présence de ce Jésus qui marche : il nous précède dans les cœurs et la vie de tout homme.
Nous allons au milieu des hommes en contemplatifs de son Règne qui vient. Nous y allons avec pauvreté du cœur, dans un amour ouvert à l’universel et avec une obéissance non à ce que nous voulons mais à ce que Dieu veut pour que ne se perde pas le sel et la radicalité de l’Evangile.
Anne et Syméon avaient consacré leur vie à veiller sur Dieu, ils avaient tenu éveillée l’attente du Messie, du Christ.
Prêtres et consacrés, ensemble, nous avons reçu comme mission la garde de Dieu. Cette mission est plus que jamais essentielle et pour l’Eglise et pour ce monde.
Peu importe combien nous sommes et combien nous serons. Qu’en savons-nous d’ailleurs ?
Prions plutôt les uns pour les autres afin qu’à travers la radicalité et la joie de nos vies consacrées, Dieu ne s’éteigne pas dans notre monde. Prions les uns pour les autres pour que ne manquent pas aujourd’hui – et on verra pour demain – prions pour que ne manquent dans l’Eglise et dans ce monde ces lieux de vie au goût d’Evangile où l’Esprit peut dire à ceux qui le cherchent et secrètement désirent Dieu : « Venez… allez vers eux, et vous verrez… vous le verrez qu’il est vivant aujourd’hui l’Agneau de Dieu ! »… Amen !
+ Jean-Luc Hudsyn