Église catholique en Brabant wallon

Archidiocèse de Malines-Bruxelles (Belgique)

Église catholique en Brabant wallon

 

Fête de la Croix glorieuse

Homélie de Mgr Hudsyn à l’occasion de la messe pontificale qu’il a présidée le dimanche 14 septembre à l’abbaye de Bois-Seigneur-Isaac

Sœurs et frères,

Qu’il est précieux de vivre ensemble cette messe qui précède la procession en l’honneur du Saint-Sang instituée il y a 600 ans. Il est impressionnant de voir cette longue fidélité et avec quelle ferveur nous sommes en nombre au rendez-vous six siècles plus tard. Parmi les reliques de ce monastère, il y a notamment celle du Saint Sang et celle de la Sainte Croix. Soyons clairs : nous n’adorons pas les reliques. Nous n’adorons que Dieu seul. Mais nous vénérons les reliques. Nous les vénérons car elles peuvent nous aider à entrer dans le mystère de ce Dieu que nous adorons, ce mystère de Dieu éclairé magnifiquement par cette fête de la Croix Glorieuse du Christ.

Nous venons d’entendre l’Evangile de Jean où Jésus parle de sa croix en nous disant qu’elle est en quelque sorte comme ce serpent de bronze érigé par Moïse dans le désert : nous pouvons dire de la croix du Christ qu’elle est glorieuse car elle nous guérit des morsures brulantes du mal et de son venin, elle est source de vie pour ceux qui lèvent leur regard sur le Christ en croix.

C’est vrai que parfois on peut mal parler de la croix du Christ : comme si c’était Dieu qui avait envoyé son Fils à la mort, comme si ce que Dieu voulait c’était sa souffrance et qu’il meure sur la croix. Ce que Dieu désire, c’est que son Fils – et nous-mêmes – soyons fidèles à ce que Dieu est : il est l’amour. La volonté de Dieu, c’est que son Fils soit fidèle à l’amour jusqu’au bout, quoiqu’il en coûte, même dans l’épreuve, jusque dans la souffrance, et jusque sur la croix s’il le fallait. Et c’est de cela que la Croix nous parle : d’une fidélité, d’un amour qui va jusqu’au bout, qui obéit à cet amour, jusqu’au sang versé. Si le Christ est mort condamné, rejeté, mis en croix, ce n’est pas parce que Dieu le voulait : ce sont les hommes qui l’ont voulu. Il s’est retrouvé en croix à cause de ceux qui ne supportaient justement pas son message d’amour universel, sans frontière, ouvert à tous. On a voulu l’éliminer parce qu’il se faisait proche de tous y compris des pécheurs ; proche de gens dont on trouvait qu’il aurait mieux fait de ne pas les fréquenter, de ne pas aller manger chez eux, de ne pas leur pardonner. Et s’il a été crucifié, c’est aussi parce qu’il y a eu ceux qui se sont tus à son procès, parce qu’il y a eu celui qui l’a renié, celui qui l’a trahi, celui qui s’en est lavé les mains…

Et voilà que, face à la croix, nous sommes tous renvoyés à nous-mêmes… Le Christ s’est dépouillé lui-même en prenant notre condition d’homme, nous a dit S. Paul. Il a lié son sort à tous ceux qu’on abaisse, il s’est fait solidaire de tous ceux qu’on condamne comme lui, injustement. Et donc, hélas, la crucifixion continue ! Le Christ continue à être mis en croix quand nous cédons à la violence, quand nous nous meurtrissons les uns les autres, quand nous cédons à la lâcheté devant l’injustice… Et comment ne pas penser aujourd’hui, alors que nous sommes ici avec des moines maronites, à tous ces chrétiens qui au Moyen-Orient connaissent la persécution, la mort ou l’exil forcé. Comment ne pas porter avec eux dans notre prière toutes les minorités religieuses de là-bas ; et aussi les musulmans malmenés, éliminés parce qu’ils réprouvent ce qui se passe soi-disant au nom de l’Islam.

Devant tout le sang injustement versé de ces femmes, de ces hommes, de ces enfants, le Christ ne nous dit-il pas : « Ceci est mon Sang ! » Ils sont « mon Corps livré ! ». – Je me réjouis de la solidarité qui chez nous s’exprime envers eux : nous ne pouvons les abandonner à eux-mêmes : ils sont le Christ ‘recrucifié’.

Mais se contenter de dire tout cela devant la croix, ne dit pas encore en quoi elle est pour nous ‘glorieuse’. Sur la croix, le Christ ne vient pas que nous mettre face à nous-mêmes, à nos contradictions, à nos propres violences. Cette croix du Christ nous la disons glorieuse car c’est là que les bras étendus, le Christ nous attire tous à lui. Sur la croix il va révéler jusqu’à l’extrême ce qu’il n’a cessé de manifester en parole et en acte : l’amour impensable de notre Dieu pour tous, pour nous…pour moi y compris dans mes contradictions. Il ne nous abandonne pas à nous-mêmes.

Que nous disent les récits de la Passion du Christ ? Que sur la croix, Jésus continue de se faire proche de tous : car c’est ainsi qu’est Dieu son Père. Sur la croix, il se fait le prochain du bon larron, il écoute sa prière et lui fait cette promesse : ‘aujourd’hui même, tu seras avec moi !’. Sur la croix, Jésus garde le souci de ses disciples : il confie l’apôtre Jean à sa mère, il confie Marie à son disciple bien-aimé. Sur la croix, il demande le pardon de Dieu pour ses ennemis, pour ceux qui l’injurient, ricanent et le provoquent car quelque part « ils ne savent pas ce qu’ils font ». Sur la croix, jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême, le Christ est source de bonté, source de communion fraternelle, source de pardon. C’est d’abord de cet amour, de cette proximité divine que rayonne la Croix du Christ. Si nous levons les yeux vers la croix, nous voyons comment Dieu agit envers nous : il répond au mal par le bien. C’est ce chemin de vie, qu’il nous propose pour briser le cercle sans fin de la violence et des revanches.

Sur la croix enfin, malgré ses souffrances et les ténèbres qui l’entourent, le Christ demeure jusqu’au bout dans la foi, dans la confiance envers son Père. Alors que les ténèbres l’entourent, alors qu’il se sent comme abandonné, c’est l’espérance qui aura le dernier mot : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ». Et son Esprit… déjà sur la croix, il nous le remet pour que nous en vivions nous aussi. Et Dieu va lui répondre : il lui fait traverser la mort. Ressuscité, il est le Vivant, présent au milieu de nous.

Voilà pourquoi nous pouvons dire que la croix est glorieuse : elle nous montre que Dieu a vaincu la mort, qu’il nous y ouvre un passage vers la plénitude de son amour et de sa vie. Elle nous révèle aussi que dans nos croix et nos épreuves, Dieu reste proche, qu’il nous tend sa main pour nous faire traverser les épreuves en tenant bon dans la foi, dans l’amour, dans le pardon. Sur la croix le Christ nous montre qu’il sait mieux que nous même que la fidélité, l’amour, le refus de la revanche, le pardon, la foi peuvent être aussi des épreuves douloureuses, difficiles : mais sur la croix il nous dit aussi que nous sommes, lui et nous, du même sang, que nous sommes son corps parfois blessé, humilié, perdu et que donc il ne nous abandonnera jamais. Lui qui a été bafoué sans raison, il est tout proche de ceux dont l’amour est trahi. Lui qui a été abandonné, il demeure aux côtés de tous les affligés. Lui qui a été abreuvé de vinaigre, il prend par la main tous les humiliés de la terre. Lui qui a aimé en à mourir, ce matin en cette eucharistie, il se donne et nous pardonne et nous entraîne vers la Vie.

Cette relique du Saint-Sang, celle de la Sainte croix que nous allons emmener en procession, cette fête de la croix glorieuse, voilà ce qu’à travers les siècles, elles nous invitent à adorer : tout l’amour de notre Dieu qui certains jours nous secoue mais toujours nous soutient, et nous fait traverser les épreuves. Voilà de quoi cette procession est le témoignage : le sang versé du Christ, son Corps c’est aussi nous, c’est toute l’humanité. Le tabernacle où Dieu réside, il est bien sûr derrière moi. Mais ce tabernacle divin, c’est aussi tout homme, ce sont les pauvres, les humiliés d’ici et de partout. Le tabernacle où il demeure, c’est aussi chacun de nous. Comme nous dit Paul, comment ne pas tomber à genoux devant ce que proclame la fin de l’Evangile de ce jour et qui résume tout le mystère de la croix du Christ : « Dieu a tant aimé le monde : il a envoyé son Fils non pas pour juger le monde, mais que pour que, par lui, le monde soit sauvé ! »

+ Jean-Luc Hudsyn