
Nous venons d’entendre S. Paul inviter ses communautés à chanter et à louer Dieu – ce n’était donc pas un homme aussi austère qu’on le dit parfois ! Il y avait aussi de la musique en lui. Et je trouve intéressant qu’il ait fait cette invitation en évoquant juste avant : « cette Parole du Christ qui habite nos cœurs ». Pour lui, c’est comme si le chant et la musique qui peuvent nous habiter, viennent de plus loin que nous : comme si la musique trouvait son souffle, son inspiration, sa source dans un au-delà de nous qui chante à travers nous. Je n’oublierai jamais cette interview télévisée d’artistes où Maurice Béjart disait : « Moi, dans mes ballets j’essaye d’exprimer ce qui danse en moi ». Et le poète Pierre Emmanuel disait : « C’est vrai, quand j’écris, je mets en mots ce qui parle en moi ». Et ce grand compositeur qu’était Stockhausen d’ajouter : « Quand je compose, je mets en musique ce qui chante en moi »… Et tous reconnaissaient que pour eux – même si c’était différemment – cela avait à voir avec la question de Dieu : ce Verbe, cette Parole, ce Souffle qui habite en nous et qui se fait chant, musique, plainte, joie.
La musique peut en effet mystérieusement unifier quelque chose en nous, nous apaiser, nous ‘harmoniser ‘ avec nous-mêmes. Avec tout ce que nous vivons : nos joies, mais aussi nos épreuves. Il y a aussi des musiques en mode mineur, et des dissonances qui peuvent en dire long. Car on peut chanter aussi dans la nuit. Quand la solitude nous effleure, et même quand l’épreuve nous accable. Les Crucifixus, les Stabat Mater, nombre de cantates sont autant d’appels vers une Présence absente : pour qu’elle nous rejoigne, pour qu’un Souffle nous garde dans la confiance. Et les negro spirituals nous le montrent : on peut chanter aussi contre la nuit : pour écarter un peu son emprise, pour affronter la l’oppression, pour reprendre cœur.
La musique peut donc nous harmoniser avec nous-mêmes. Elle peut aussi nous mettre en harmonie avec les autres (les concertistes savent cela !). Dans ce rituel de bénédiction que nous allons vivre, il y a cette prière qui évoque la multitude des tuyaux de l’orgue qui ensemble produisent une seule musique. Elle est le fruit de la richesse, de la diversité de ses timbres et de ses jeux. Parabole musicale de ce que pourrait être – et devrait être – le vivre-ensemble : celui de l’Eglise, de la cité, et de l’humanité. Il y a à faire !
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Le jeu de cette diversité, c’est l’occasion pour moi de saluer la multiplicité des énergies qui ont mené à la construction de cet orgue : curé, fabrique d’église, commune, mécénat, amis, facteur d’orgue et tous les artisans qui ont conjugué leurs efforts pour cet orgue. Il est mis au service de la liturgie, des événements de la vie et de la foi qui seront accompagnés par le souffle de ses vingt jeux ; il est mis au service aussi de la beauté, de la musique, de la culture.
Harmonie avec nous-mêmes, avec les autres… La musique, et celle de l’orgue en particulier, ont aussi cette capacité, comme je disais, de nous harmoniser avec un mystérieux au-delà de nous-mêmes. « L’orgue, disait Victor Hugo, l’orgue, cette voix ici-bas qui nous murmure des choses infinies » (Les chants du crépuscule). Les uns appelleront cela le sacré, d’autres Dieu. Jean-Sébastien Bach en ce domaine en fait hésiter beaucoup… C’est le philosophe roumain Cioran qui disait que Dieu doit quand même beaucoup à Bach… car quand sa musique nous prend, disait ce vieux sceptique… on finit quand même par douter de la non-existence de Dieu !…
J’en reviens à S. Paul : il parlait de cette Parole divine qui habite en nous, ce souffle divin en nous qui nous mène à la louange. L’orgue aussi est une affaire de souffle, et c’est bien pourquoi on l’a si volontiers invité dans les églises. Car, ô merveille, son souffle peut laisser parler, chanter un autre Souffle, celui-là même de Dieu présent au cœur de l’assemblée quand elle se réunit au nom du Christ.
Son souffle et sa musique peuvent aussi – et quelles que soient nos convictions – redonner du souffle à nous tous venus l’écouter ce soir. Nous porter tous à mettre autour de nous de la beauté, de l’harmonie, bref mettre de la musique et avec elle de l’amour dans ce monde où il y a si souvent trop de bruit, trop de détresse et trop de cris. C’est bien pourquoi on trouve dans l’Ancien Testament cette invitation pressante :
« N’empêchez pas la musique ! » (Sir 32,4).
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+ Jean-Luc Hudsyn – 27 avril 2013