Église catholique en Brabant wallon

Archidiocèse de Malines-Bruxelles (Belgique)

Église catholique en Brabant wallon

 

400 ans du charisme vincentien

Jeudi 27 septembre 2017 à Genappe

Homélie de Mgr Jean-Luc Hudsyn

Saint Vincent de Paul – alors qu’il était curé à Clichy – a vécu ce que nous dit S. Matthieu à propos du Christ : il a rencontré des personnes désemparées et abattues… et il fut saisi d’une compassion qui ne l’a plus jamais quitté.

Tous ces mots « compassion », « pitié », « miséricorde » et même « charité », ont pu prendre une connotation qui peut faire difficulté. Peut-être parce que certains de ceux qui en vivaient pouvaient donner l’impression d’une certaine condescendance où l’on se penche sur les pauvres ou, pire encore : que pratiquer ce qu’on appelait les œuvres de miséricorde était une façon de gagner son ciel. Toute attitude morale, même la plus belle peut toujours être biaisée, voire pervertie… On peut toujours utiliser les pauvres. Subtilement nous pouvons, en disant les servir, être tentés parfois de nous servir d’eux de manières diverses.

Mais en même temps, grâce à l’année de la miséricorde lancée en 2015 par le Pape François, nous avons redécouvert le sens profond de ces mots et combien tout l’Evangile en est imprégné. La compassion du Christ – « compatir » – c’est-à-dire « souffrir avec » : être avec l’autre et communier à sa souffrance, la partager, s’en faire solidaire, comme on le voit dans cet évangile où Jésus est saisi aux entrailles par le désarroi des foules.

Ou encore : la « miséricorde » de Dieu qui est au cœur de la Bonne nouvelle que le Christ vient proclamer : un Dieu qui a « miséricorde » c’est-à-dire : un Dieu qui a cœur, et un cœur sensible à nos pauvretés, à nos fragilités. Un Dieu qui – contrairement aux dieux païens de l’Antiquité – n’est pas indifférent à nos épreuves ; un Dieu qui s’engage à nos côtés pour nous tirer du côté de l’amour partagé, de la justice, de la vérité et de la paix.

S. Vincent de Paul avait un regard nourri et aiguisé par l’Evangile ; il avait beaucoup médité sur la vie du Christ, sur sa façon d’être attentif à tous y compris ceux qu’on laissait au bord du chemin… Alors, il s’est mis à regarder les pauvres avec d’autres yeux. Il n’a pas changé de trottoir en les croisant. Plus encore : il s’est laissé convertir par les pauvres. Il a vu que Dieu était là, mêlé secrètement à eux. Que Dieu l’attendait au cœur de ce qu’il y a de faible dans le monde, comme dit S. Paul. Que notre Dieu a choisi d’être présent auprès de ceux qui ne comptent pour rien. Sa présence réelle, elle est aussi dans les pauvres, parce que tous il les considère comme ses fils et ses filles, parce qu’il donne à tous la dignité d’être ses enfants.

Du coup, pour Vincent de Paul, Dieu c’était du concret ; l’aimer était à notre portée : en aimant les gens, – et en particulier – les plus pauvres. C’est là que tous nous pouvons chercher Dieu, le rencontrer et le servir. Au temps de S. Vincent, une intelligentsia un peu snob aimait faire salon : on passait son temps à discuter de tout ; et même de Dieu, c’était le raffinement suprême… Ces discussions intellos et pseudo-spirituelles le fatiguaient. Il a voulu montrer que Dieu se vit ; que Dieu se pratique. Et qu’il est là : non pas dans les abstractions, mais dans la rencontre de ceux que, dans sa mondanité, le monde méprise et trouve insignifiants. Vous, les vincentiens d’aujourd’hui : je crois que vous pouvez très bien comprendre cela.

Saint Vincent de Paul a connu l’époque des guerres de religion où, au nom de ce qu’ils disaient être leur foi, des gens dits religieux s’affrontaient l’épée à la main. C’était le triomphe du fanatisme et de la violence, chacun trouvant que lui et lui seul était dans la vérité. Saint Vincent a essayé de mettre en travers de cela la vraie religion : celle de la charité, celle du don de soi. Faire comme Jésus : aller auprès de tous – car S. Vincent allait vers tous – pour, comme Jésus, « guérir toute maladie et infirmité », avec ce qui guérit en profondeur le cœur de l’homme : la bienveillance, l’écoute, la proximité, l’aide efficace – et c’était une de ses insistances à lui – l’aide organisée.

En répondant toujours à ce charisme vincentien, 400 ans plus tard, vous nous rappelez à tous que le Christ – en définissant ce qui fait le cœur de notre foi – a dit que c’était d’un même élan, aimer Dieu et son prochain. En ce temps qui est le nôtre, sécularisé, méfiant parfois sur la religion, ne laissons pas Dieu à la périphérie de nos soucis. Le risque aujourd’hui, c’est de vivre un christianisme progressivement sans Dieu. Qui se contente d’avoir des « valeurs »…

Le désir de S. Vincent était d’aimer les pauvres à la façon dont le Christ les aimait, en puisant en lui cette capacité d’aimer qui ne va pas sans dépassement de soi, sans sortie de soi. Pris par l’action, on peut parfois négliger ce ressourcement, cet ancrage dans l’Evangile : alors cet amour finit par se faner – même si on continue de l’appeler amour. Il se décolore : il devient moins inconditionnel, moins gratuit, moins désintéressé. Il choisit ceux à qui il donne et se donne. Restez donc soucieux de ressourcer profond en vous ce don de vous-même. Parce que l’amour et le don demandent aussi du courage et de la persévérance. Parce qu’il demande de dépasser la lassitude et certains échecs. Parce que l’amour des plus pauvres est aussi un combat : un combat contre la pauvreté, une lutte patiente pour qu’ils deviennent de plus en plus les acteurs de leur propre vie. Cela demande du souffle…

Merci à vous pour votre engagement, pour ce témoignage sur lequel insistait Benoît XVI comme quoi l’exercice de la charité bien comprise « appartient à l’essence même de l’Église, au même titre que le service des sacrements et l’annonce de l’Évangile ».

Puisse le Seigneur, doux et humble de cœur, déposer en nous ce que S. Vincent de Paul appelait « vivre dans le respect du pauvre et la douceur ».

+ Jean-Luc Hudsyn

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