
Soeurs et frères,
Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus nous fait un récit raconté qui fait suite à l’évangile de dimanche passé : il nous interpellait sur notre rapport à l’argent. Aujourd’hui il nous parle d’un homme au style de vie somptueux qui ne voit même pas qu’à la porte de son domaine, sur le trottoir, se languit ce pauvre appelé Lazare. Et dans son récit, Jésus nous raconte qu’une fois tous les deux entrés dans le séjour des morts, il y comme « un grand abîme » qui les sépare… Au fond, ce grand abîme qui les sépare est à l’image de ce grand abîme qui de leur vivant séparait déjà ce riche et ce pauvre Lazare !
Il me semble que Jésus veut nous garder en éveil sur ceci : l’argent, l’avoir, les richesses risquent toujours d’avoir sur nous un effet hypnotique. Nous croyons posséder notre richesse mais ce sont nos possessions qui risquent de nous posséder. De plus, si l’on n’y prend garde, la richesse risque aussi d’aveugler notre regard, de nous rendre peu sensibles, voire quasi indifférents à ce que vivent les pauvres et à la souffrance qu’ils endurent. Elle risque ainsi de nous séparer les uns des autres, de creuser un fossé entre les hommes. Que ce soit entre les pays du Nord et les pays du Sud, que ce soit au plan social, culturel, familial comme lorsque vient l’heure du partage d’un héritage… que ce soit chez nous dans les ravages sociaux que peuvent susciter des réorganisations brutales d’entreprise. Jésus nous disait dimanche passé : l’argent est un moyen et non une fin : « faites-vous des amis avec l’argent » disait-il – c-à-d mettez l’argent au service de l’amitié, de la fraternité, de la solidarité. Il attire notre attention aujourd’hui sur le fait que, laissé à sa propre dynamique l’argent divise, sépare et rend aveugle.
Car l’avoir nous pousse facilement à nous protéger, à voir dans l’autre une menace, à voir dans le pauvre une mise en question. La richesse risque toujours de nous durcir, de secréter de l’indifférence. Et cela s’adresse à tous y compris dans notre façon d’être en relation : car nous sommes toujours tentés d’une certaine façon de nous poser en riche dans nos relations aux autres. La richesse en ce sens, c’est le contraire de ce que les Béatitudes appellent, la pauvreté du cœur. Or, sans désappropriation de nous-même comment être vraiment attentifs à l’autre, sans pauvreté intérieure, risque de se creuser un abîme peu franchissable entre l’autre et moi. Sans humilité, il y a des choses de lui que je ne verrai jamais, des choses de la vie de l’autre auxquelles je ne serai pas sensible. Si je me situe en riche, je le tiendrai à distance comme une menace ou un rival potentiel.
Tout cela est vrai aussi en ce qui concerne notre relation à Dieu. Comment rester attentif à lui si je suis encombré de moi et de mes « affaires » ? Comment le rejoindre ? Comment ne pas l’oublier, rester éveillé à sa présence.
Il y bien des moyens… Et parmi ces moyens, il y a aussi les églises !… Nous les humains, êtres de chair, qui vivons de façon incarnée, pour que Dieu nous reste présent, pour ne pas oublier son amour, nous avons besoin entre autre de moments et de lieux où nous pouvons venir pour faire mémoire des réalités qui nous sont essentielles. Et avoir de tels lieux, prendre de tels moments, ce n’est pas un luxe dans notre société comme la nôtre où « à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgent (ou pour l’argent !), on finit par oublier l’urgence de l’essentiel… »
C’est bien pourquoi les églises sont précieuses. Dans notre univers profane, centré sur l’immédiatement rentable et consommable, la tour de cette église ne pointe-t-elle pas en direction d’un monde un peu autre, différent dans ses valeurs ? La vaste nef de cette église ne vient-elle pas dilater notre être quand nous entrons ici et que pour nous élargir notre cœur, il faudrait peut-être aussi savoir lever les yeux : lever les yeux de nos calculs, lever les yeux de nos livres de comptes – lever les yeux de nos règlements de compte ? et donner plus d’ampleur à notre vie, dilater notre cœur, bref devenir plus humain et peut-être plus divin…
Ici depuis 250 ans, – et en fait bien davantage, puisqu’une église ici est déjà attestée au XIIIème siècle – ici tant et tant d’hommes et de femmes, d’aînés et de plus jeunes ont été baptisés dans vos fonts baptismaux, ils se sont rassemblés autour de l’autel ou sont venus prier parfois en secret pour chercher un peu de lumière et d’espérance. Nourris du pardon qui apaise, nourris de l’eucharistie, ils sont repartis, envoyés par sa Parole pour vivre un peu plus au quotidien reliés à Dieu et reliés aux hommes.
Bien sûr… Dieu est partout. Je peux le rencontrer partout… Mais comme disait un vieux rabbin : « Dieu est partout, mais moi je ne suis pas le même partout ». Il y a des lieux qui nous disposent plus que d’autres à entrer en relation avec l’invisible, avec le divin ; qui nous font rejoindre le meilleur de nous-mêmes, avec Dieu, avec le Christ, avec sa Parole. Les églises font partie de ses hauts-lieux qui parlent tout bas de Dieu. Elles nous font pressentir que nous ne sommes pas séparés de lui par un abîme inaccessible… et quand bien même il y en aurait, son amour les franchirait tous pour nous rejoindre.
D’autres l’ont expérimenté avant nous, ils sont ici avec nous dans cette église : les saints, ces compagnons de route qui prient avec nous et pour nous : Ste Aldegonde, bien sûr, et – aussi représentés ici – S. Roch, S. Léonard, S. Antoine, S. Joseph avec à leur tête Notre-Dame… Notre-Dame des Belles Pierres.
Toute la beauté, l’art, la musique et le chant qui se déploient dans les églises nous rappellent tout ce qu’il y a de beau et de bon dans le monde, cette beauté qui n’attend que nous pour que nous soyons des artisans au quotidien de cette beauté, et de cette bonté. Merci donc à tous ceux qui prennent soin de cet espace vénérable, de ce patrimoine.
Bien sûr, les églises ne sont pas faites pour nous garder dans leurs murs. On va à l’église…. pour en repartir, mais en repartir différents : nourris du Christ, soutenus par la communauté, porteurs d’espérance pour le monde.
Que Notre-Dame des Belles Pierres fassent de ce monde qu’il nous confie, que Notre-Dame fasse de chacun de nous les pierres vivantes de l’Eglise de son Fils. Et qu’elle fasse de nous des pierres porteuses au sein de la cité des hommes.
+ Jean-Luc Hudsyn