Mars 2020… En un instant, du jour au lendemain, tout s’est arrêté… sans que personne ne porte plainte ni ne manifeste, ou si peu… Même si on en connaît la raison, on n’a pas cessé de s’interroger sur l’opportunité ou non des mesures sanitaires qui ont été prises. En un instant, tout s’est arrêté, et cela même dans nos églises. Et beaucoup ont eu du mal avec cela, certains regrettant que les responsables de l’Église ne défendent pas suffisamment la liberté de se rassembler pour célébrer le Seigneur. Ce qui est sûr, c’est que des chrétiens ont vécu un éloignement de Dieu et des remises en question de leur foi : Où est Dieu ? Que fait-il ? Nous aurait-il abandonné ?
Mon propos ici n’est pas d’entrer dans toutes ces questions mais de partager tout simplement comment les périodes de confinement ont, au contraire, affermi ma foi en Jésus Christ, de partager comment cette période compliquée due à la pandémie a purifié ma foi pour en retrouver l’essence : l’amour de Dieu et l’amour des hommes.
Lors du premier confinement, lorsqu’aucune célébration n’était permise dans les églises, deux faits m’ont particulièrement marqué.
Le premier, c’est lorsque je me suis rendu à la Collégiale au début de la première période de confinement. Voyant ce grand édifice complètement vide, je me suis senti… inutile ! Qu’avais-je encore à faire dans ce lieu puisque personne ne pouvait plus s’y rassembler ? Le rôle d’un pasteur n’est-il pas précisément de rassembler les fidèles ? Quelle était dès lors encore ma place si ce rôle ne peut plus s’exercer ? Puis je me suis assis devant le Saint-Sacrement et j’ai conversé avec le Seigneur : que se passe-t-il Seigneur ? Je sais que Tu es là et que tu ne nous abandonneras pas. N’as-tu pas promis d’être avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28,20) ? Je pensais au peuple d’Israël et sa traversée du désert où, plus d’une fois, sa foi a été éprouvée. Mais le Seigneur n’a pas abandonné son peuple mais il l’a fait marcher à travers le désert pour éprouver et savoir ce qu’il a sur le cœur (Dt 8,2X). Oui, n’est-ce pas cela, Seigneur, ce que tu veux faire avec nous à travers cette pandémie : voir où nous mettons vraiment le trésor de notre cœur (cfr Mt 6,21) ! Puis bien vite j’ai arrêté d’embêter le Seigneur avec mes questions pour me plonger dans un silence contemplatif qui me donna beaucoup de joie et de paix intérieures. Le Seigneur était là avec moi et il me rassurait…
A partir de là, chaque jour du confinement, je passais un moment à l’église partageant au Seigneur ce que j’avais le cœur et prenant un moment plus ou moins long avec lui dans le silence. Dieu était autant présent dans ma vie – et même peut-être davantage – dans la période de confinement qu’en dehors de cette période… Au fil des jours, au cœur de ma prière deux vérités se sont rappelées à moi.
- La première, c’est que le prêtre n’a pas seulement la mission de ‘rassembler’, il a aussi celle d’‘intercéder’. Je prenais conscience que je me devais de prier pour ceux et celles que je ne pouvais plus rassembler. Le prêtre a reçu cette belle mission d’intercéder pour TOUS, qu’ils viennent ou non à l’église, qu’ils soient vivants sur cette terre ou déjà passés sur l’autre versant de la Vie. Cette communion que permet la prière, aussi bien avec les vivants et qu’avec les morts, est devenue très forte en moi.
- La deuxième vérité qui s’est rappelée à moi est de relativiser le rôle de nos églises. Le Seigneur ne s’y laisse pas enfermer, même dans les tabernacles. Dieu n’est jamais confiné et personne ne peut mettre la main sur lui. Le lieu de la présence de Dieu n’est-il pas d’abord et avant tout le cœur de chaque être humain ? Mais croyons-nous vraiment à cette présence de Dieu en nous ? Ne cherchons-nous pas souvent Dieu à l’extérieur de nous ?
Ces deux vérités mises ensemble m’ont fait passer d’un sentiment d’inutilité à une communion avec tous ceux qui ne venaient plus à la l’église, une communion avec tous ceux et celles qui priaient chez eux, dans la « cellule » de leur maison, seul ou en famille.
Si Dieu n’est pas enfermé dans nos églises, il faut donc aussi le chercher au-dehors. Le deuxième fait qui m’a marqué pendant le confinement m’en a donné l’occasion. Il s’agit de l’accompagnement des personnes décédées et de leurs proches. Cet accompagnement était réduit à peu de choses : un contact téléphonique avec un proche du défunt et une courte célébration au funérarium ou au cimetière avec un nombre très limité de personnes. Le plus pénible était de devoir garder ses distances et d’appliquer les gestes barrières : pas facile de se retenir de serrer la main, de porter un masque et de rester à distance pour s’entretenir avec une personne dans le deuil… et qui n’aspire qu’à vous voir proche d’elle. Le désarroi de ces personnes m’a touché et j’avoue avoir quelques fois transgressé les règles sanitaires.
Cette expérience de funérailles (qui n’en étaient pas vraiment), me rappelait que « l’homme ne vit pas seulement de pain… (Mt 4,4) » mais qu’il a aussi besoin de se « nourrir » de relations et de liens sociaux, d’amitié et de fraternité. Et cette nourriture-là est loin d’être satisfaite par les réseaux sociaux et les moyens de communication que nous connaissons aujourd’hui. L’être humain est venu au monde avec un corps et celui-ci est le premier lieu de sa relation aux autres. Si les techniques actuelles permettent beaucoup de choses, elles ne remplacent pas tout ce qui peut être vécu et échangé lorsqu’on est en « présence réelle », en particulier le fait de pouvoir se toucher. Souvent Jésus touche ceux qu’il guérit ; il n’a pas eu peur, par exemple, de toucher des lépreux (cfr Mc 1,41). Prendre la main d’une personne en fin de vie est un geste de proximité irremplaçable.
La foi n’est pas seulement une présence à Dieu ; elle est aussi une présence aux autres. Plusieurs m’ont dit le réconfort et la paix que leur avait apporté, pendant cette période compliquée, la présence d’un prêtre lorsque celui-ci a pu donner l’Onction des malades ou lors des brèves cérémonies de funérailles.
S’il est vrai que ma fonction est occupée par bon nombre de tâches d’organisation, d’animation et de gestion, la période de confinement m’a rappelé, non seulement l’importance, mais surtout la priorité de l’attention aux autres, en particulier de ceux qui sont les plus faibles et les plus fragiles, l’attention à ceux qui vivent des difficultés et des épreuves… La foi, si elle est une confiance en Jésus qui sauve, doit s’exprimer par la charité (cfr Ga 5,6). La foi doit se montrer par l’amour que nous portons à ceux qui qui nous sont proches et à ceux que nous rencontrons.
Les expériences vécues lors de ces périodes de confinement m’ont remis au centre de ma foi : aimer Jésus de tout mon cœur et aimer mon prochain en étant attentif à ce qu’il vit. La prière et la fraternité sont les plus belles expressions de ce double amour.
Albert-Marie Demoitié,
curé-doyen de Nivelles
P.S. Ce témoignage a été publié dans le journal de l’UP de Nivelles, À toute volée, en octobre.
Illustration d’entête : Le Christ surplombant le chœur de la collégiale Sainte-Gertrude à Nivelles.